- 16 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Chaque année, des millions de patients dans le monde reçoivent le mauvais médicament, la mauvaise dose, ou un médicament qui entre en conflit avec ce qu’ils prennent déjà. Ces erreurs ne sont pas des accidents isolés : ce sont des symptômes d’un système qui fonctionne mal. En pharmacie, une simple erreur de délivrance peut avoir des conséquences graves, voire mortelles. Selon une méta-analyse publiée en 2023, 1,6 % de toutes les délivrances de médicaments contiennent une erreur - ce qui représente des dizaines de milliers d’incidents chaque année, même dans les pays les plus développés.
Les erreurs les plus fréquentes
Les erreurs de délivrance ne se ressemblent pas toutes. Certaines sont subtiles, d’autres flagrantes. Les trois types les plus courants sont :
- Le mauvais médicament, la mauvaise dose ou le mauvais format : c’est le plus fréquent, représentant environ 32 % des erreurs. Un patient qui devrait recevoir du levothyroxine 75 mcg se retrouve avec du levothyroxine 100 mcg - une différence minime sur l’étiquette, mais potentiellement dangereuse.
- Le calcul de dose erroné : souvent lié à des poids incorrects, à des fonctions rénales mal prises en compte, ou à une mauvaise conversion d’unités. Pour les enfants ou les patients âgés, une erreur de 10 % peut être fatale.
- L’absence de détection d’interactions ou de contre-indications : 24 % des erreurs viennent de ce manque. Un patient sous anticoagulant reçoit de l’ibuprofène, sans que personne ne vérifie les risques de saignement.
Les erreurs liées aux médicaments à risque sont particulièrement préoccupantes. Les anticoagulants (comme la warfarine ou les NOAC) sont impliqués dans 31 % des erreurs graves. Les antibiotiques, les opioïdes et les anticonvulsivants suivent de près. Une étude a montré que 41 % des erreurs d’antibiotiques venaient d’un simple oubli de vérifier les allergies du patient.
Ce qui cause ces erreurs
Il ne s’agit jamais d’un seul pharmacien malveillant ou négligent. Les erreurs viennent de systèmes défaillants. Voici les causes réelles :
- La surcharge de travail : 37 % des erreurs surviennent quand le pharmacien est sous pression - files d’attente longues, plusieurs prescriptions à traiter en même temps, appels constants.
- Les noms de médicaments similaires : Hydroxyzine et Hydralazine, Clonazepam et Clonidine - des noms qui se ressemblent à l’oreille ou à l’œil. C’est une source majeure d’erreurs, surtout avec les ordres verbaux ou les étiquettes mal imprimées.
- Les interruptions : chaque interruption pendant la préparation d’une ordonnance augmente le risque d’erreur de 12,7 %. Une question du patient, un appel téléphonique, un collègue qui demande un coup de main - tout cela brise la concentration.
- Les ordonnances illisibles : même en 2025, 43 % des erreurs proviennent encore d’ordonnances manuscrites mal écrites. Un “5 mg” peut être lu comme “50 mg”.
- Le manque d’information : sans accès aux antécédents médicaux, aux allergies, aux résultats d’analyses ou aux autres traitements du patient, le pharmacien agit dans le noir.
Comment les éviter : des solutions concrètes
Heureusement, il existe des moyens éprouvés pour réduire ces erreurs. Ce ne sont pas des idées théoriques - ce sont des pratiques déjà appliquées avec succès.
1. Le double contrôle pour les médicaments à haut risque
Une règle simple : pour les insulines, les anticoagulants, les opioïdes, les chimiothérapies et les médicaments à indice thérapeutique étroit, deux personnes doivent vérifier la délivrance - une pour préparer, une pour valider. Dans une pharmacie hospitalière, cette pratique a réduit les erreurs de 78 % en 18 mois. Cela prend deux minutes de plus, mais ça sauve des vies.
2. Le balayage à code-barres
Le code-barres n’est pas un luxe. Il est une barrière de sécurité. Quand le pharmacien scanne le médicament, le patient et l’ordonnance, le système vérifie automatiquement : est-ce le bon médicament ? La bonne dose ? Le bon patient ? En 2023, les pharmacies utilisant ce système ont vu une réduction de 47 % des erreurs globales. Les erreurs de médicament erroné ont chuté de 52 %.
3. L’écriture en majuscules pour les noms similaires
Le système Tall Man Lettering - qui met en majuscules les parties distinctives des noms de médicaments - a réduit les erreurs liées aux noms similaires de 57 % dans 214 pharmacies. HYDROxyzine et HYDRAlazine ne se confondent plus. Ce n’est pas une question de style, c’est une question de sécurité.
4. Des systèmes informatisés avec alertes intelligentes
Les systèmes de saisie électronique d’ordonnances (CPOE) avec assistance décisionnelle réduisent les erreurs de 43 %. Mais attention : trop d’alertes = alerte fatigue. Un pharmacien sur trois ignore les alertes parce qu’elles sont trop nombreuses ou peu pertinentes. La clé ? Des alertes ciblées, personnalisées, et seulement pour les risques réels.
5. Vérifier les allergies - systématiquement
Une étude sur les antibiotiques a montré que 41 % des erreurs venaient d’un simple oubli de vérifier l’allergie. La solution ? Une alerte automatique dès l’ouverture de l’ordonnance. Pas une alerte qui disparaît après un clic, mais une demande explicite : “Confirmez que le patient n’est pas allergique à [médicament]”. Si la réponse est “non”, la délivrance est bloquée jusqu’à confirmation.
Les technologies émergentes : une aide, pas une solution
Les robots qui délivrent les médicaments réduisent les erreurs de 63 %. L’intelligence artificielle peut prédire les interactions à risque avant même que l’ordonnance soit validée. Mais ces technologies ne remplacent pas le pharmacien. Elles le renforcent.
Un robot ne sait pas que le patient est en fin de vie et que la dose doit être réduite pour éviter la sédation. Une IA ne sait pas que le patient a peur des comprimés et qu’il préfère une forme liquide - même si ce n’est pas la forme prescrite. Le bon pharmacien, avec un bon système, est toujours le maillon essentiel.
Le changement culturel : arrêter de blâmer
La plus grande erreur, c’est de penser que les erreurs viennent de “mauvais professionnels”. Ce n’est pas vrai. Comme le dit Michael Cohen, président de l’Institute for Safe Medication Practices : “Les erreurs de délivrance ne viennent pas des pharmaciens, mais des systèmes qui ne les protègent pas.”
Les pharmacies qui se concentrent sur la responsabilité individuelle voient seulement une réduction de 19 % des erreurs. Celles qui améliorent leurs processus, leurs outils et leur culture voient une réduction de 62 %. Il faut arrêter de punir les erreurs - et commencer à les comprendre.
Les systèmes d’analyse des causes racines (RCA) et les rapports d’incidents anonymes - comme ceux de Pharmapod - permettent d’identifier les points faibles sans peur de sanction. Dans une pharmacie qui a mis en place ce système, les erreurs ont baissé de 39 % en un an.
Que peut faire chaque pharmacien ?
Vous n’avez pas besoin d’attendre une réforme nationale pour agir. Voici trois gestes simples que vous pouvez adopter dès aujourd’hui :
- Arrêtez-vous une seconde avant de délivrer. Posez-vous la question : “Est-ce que ce que je donne correspond exactement à ce qui est prescrit ?”
- Parlez au patient. Demandez-lui : “Quel médicament pensez-vous que vous allez prendre ?” Si sa réponse ne correspond pas, il y a un problème.
- Signalez les erreurs, même les petites. Un oubli de vérification, un étiquetage mal fait - notez-le. Ce n’est pas une faute, c’est une leçon pour tout le monde.
La sécurité des patients ne dépend pas de la technologie la plus avancée. Elle dépend de la vigilance quotidienne, de la culture de l’attention, et de la volonté de ne pas laisser passer ce qui ne va pas - même si c’est “juste une petite erreur”.
Et demain ?
En 2025, l’OMS et l’ISMP vont lancer un nouveau système international de classification des erreurs médicamenteuses. Cela permettra de comparer les données entre les pays, d’identifier les tendances mondiales, et de développer des solutions adaptées. Mais pour que ça marche, il faut que chaque pharmacien, chaque hôpital, chaque pharmacie - même la plus petite - commence par regarder en soi.
Le but n’est pas d’être parfait. Le but est d’être plus prudent. Un peu plus lent. Un peu plus attentif. Parce que derrière chaque ordonnance, il y a une vie.
Quelles sont les erreurs de délivrance les plus dangereuses en pharmacie ?
Les erreurs les plus dangereuses concernent les médicaments à haut risque : les anticoagulants (comme la warfarine), les insulines, les opioïdes et les chimiothérapies. Une erreur de dose ou de médicament dans ces cas peut provoquer une hémorragie, une insuffisance respiratoire ou la mort. Les erreurs d’allergie non détectées, surtout avec les antibiotiques, sont aussi particulièrement critiques.
Pourquoi les erreurs se produisent-elles malgré les systèmes informatisés ?
Les systèmes informatisés réduisent les erreurs, mais ne les éliminent pas. Les alertes trop nombreuses ou peu pertinentes créent une “fatigue des alertes” : les pharmaciens finissent par ignorer les notifications. De plus, les erreurs humaines persistent dans la saisie des données, l’interprétation des ordonnances ou l’oubli de vérifier les antécédents médicaux. La technologie doit être un outil, pas un remplaçant du jugement professionnel.
Le double contrôle est-il vraiment efficace ?
Oui, et c’est l’une des méthodes les plus éprouvées. Dans les pharmacies hospitalières, le double contrôle pour les médicaments à haut risque a réduit les erreurs de 78 % sur 18 mois. Même dans les pharmacies communautaires, une vérification par un collègue avant la remise du médicament diminue significativement les risques. Cela prend un peu plus de temps, mais c’est un investissement en sécurité.
Les codes-barres sont-ils indispensables en pharmacie ?
Ils ne sont pas “indispensables” au sens légal, mais ils sont essentiels pour la sécurité. Les pharmacies qui les utilisent voient une réduction de 47 % des erreurs globales. Le balayage vérifie automatiquement le bon médicament, la bonne dose et le bon patient. Dans les faits, il s’agit d’une barrière de sécurité simple, rapide et peu coûteuse par rapport aux conséquences d’une erreur.
Comment les patients peuvent-ils aider à prévenir les erreurs ?
Les patients peuvent jouer un rôle actif : demander le nom et la dose du médicament, vérifier que l’emballage correspond à ce qui leur a été prescrit, signaler toute différence par rapport à ce qu’ils prennent habituellement, et informer le pharmacien de toutes leurs allergies ou traitements en cours. Une simple question comme “C’est bien ce que le médecin m’a prescrit ?” peut éviter une erreur grave.