- 21 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Qu’est-ce que la préscription concomitante de naloxone ?
Quand un médecin prescrit un opioïde pour la douleur chronique, il peut aussi prescrire du naloxone en même temps. Ce n’est pas une erreur, ni une accusation. C’est une mesure de sécurité. Le naloxone est un médicament qui annule instantanément les effets des opioïdes en cas de surdose. Il ne guérit pas la douleur, mais il sauve des vies. En France, cette pratique est encore peu répandue, mais elle est devenue une norme aux États-Unis depuis 2016, quand les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont recommandé officiellement de la proposer aux patients à risque.
Pourquoi ce geste est-il crucial ?
Les opioïdes, comme l’oxycodone, le morphine ou le fentanyl, sont efficaces contre la douleur, mais ils ralentissent la respiration. Une surdose, c’est quand cette respiration s’arrête. Et ça peut arriver à n’importe qui : un patient qui prend trop de comprimés par erreur, un ancien toxicomane qui reprend après une période d’abstinence, ou même un enfant qui trouve les comprimés dans la maison. Selon les données du CDC, les patients qui reçoivent plus de 50 mg équivalents morphine (MME) par jour ont deux fois plus de risque de surdose que ceux qui en prennent moins de 20 MME. Et si vous prenez aussi des benzodiazépines (comme le Xanax ou le Valium), le risque augmente encore.
Le naloxone agit en quelques secondes. Il se présente sous forme de spray nasal (Narcan® ou génériques) ou d’injection. Il n’a aucun effet sur quelqu’un qui n’a pas d’opioïdes dans le sang. Il ne rend pas accro. Il ne provoque pas d’effets secondaires graves. Il est simple à utiliser, même par un proche sans formation médicale. Une étude de 2019 a montré que dans les cabinets de médecine générale, la préscription concomitante a réduit les visites aux urgences liées aux opioïdes de 47 % et les hospitalisations de 63 %.
Qui doit recevoir du naloxone avec ses opioïdes ?
Ce n’est pas pour tout le monde, mais pour certains profils à risque. Les experts recommandent de proposer le naloxone si :
- La dose d’opioïdes dépasse 50 MME par jour
- Le patient prend des benzodiazépines en même temps
- Il a déjà eu une surdose, même non fatale
- Il a un trouble de l’usage de substances (alcool, cocaïne, amphétamines)
- Il souffre d’apnée du sommeil ou de BPCO
- Il a récemment été libéré de prison (la tolérance a baissé, le risque explose)
- Il vit seul ou n’a pas de soutien familial proche
En Californie, la loi oblige à proposer le naloxone dès que la dose dépasse 90 MME. À New York, on le propose à tous les patients sous opioïdes, peu importe la dose. En France, aucune loi ne l’impose encore, mais les bonnes pratiques existent. Et chaque médecin qui le propose fait une différence.
Comment ça marche en pratique ?
Le processus est court, mais essentiel. Il faut trois étapes :
- Évaluer le risque : consulter le dossier médical, vérifier les prescriptions passées, poser des questions claires sur l’usage d’alcool, de somnifères ou de drogues.
- Parler avec le patient : dire « Je vous prescris ce spray parce que je veux que vous soyez en sécurité », pas « Je pense que vous allez surdoser ». Le ton compte. Beaucoup de patients refusent au début, pensant que le médecin les juge. Mais quand ils comprennent que c’est une précaution comme un casque pour le vélo, ils acceptent.
- Donner les instructions : montrer comment utiliser le spray nasal, expliquer les signes d’une surdose (respiration lente ou absente, peau bleutée, ne répond pas), et dire de rappeler les secours même après l’administration. Le protocole SAMHSA recommande le rappel « S.L.A.M. » : Signes, Life-saving steps, Administer, Monitor.
Le spray nasal coûte entre 25 et 50 euros en générique. Les assurances le remboursent souvent. La plupart des pharmacies en ont maintenant en stock. Il n’y a plus d’excuse pour ne pas le proposer.
Les obstacles - et comment les surmonter
Malgré les preuves, beaucoup de médecins n’ont pas encore adopté cette pratique. Pourquoi ?
- Le malaise : 68 % des médecins disent qu’ils se sentent mal à l’aise de parler de surdose avec un patient. Ils craignent de choquer ou d’offenser.
- La stigmatisation : 42 % des patients refusent parce qu’ils pensent que le médecin les voit comme des toxicomanes. Mais quand on explique que c’est pour leur famille aussi, le refus baisse.
- Le manque d’information : beaucoup de médecins ne savent pas comment prescrire, où acheter, ou comment former les patients.
Les solutions existent. Des modèles de discours prêts à l’emploi ont été testés dans des cliniques. Par exemple : « Je vous prescris ce spray comme on prescrit un antidote en cas d’empoisonnement. Ce n’est pas parce que je pense que ça va arriver, mais parce que si ça arrive, je veux que vous ayez une chance. »
Un médecin du Kentucky a rapporté que depuis qu’il prescrit systématiquement le naloxone aux patients à risque, 17 surdoses ont été inversées par les proches - avec le spray qu’il leur avait donné.
Un succès humain : l’histoire de Sarah
Sarah, 42 ans, souffre de douleurs chroniques depuis un accident. Son médecin lui a prescrit de l’oxycodone et un spray de naloxone. Elle a refusé au début. « J’ai pensé qu’il me prenait pour une accro. » Mais quand son fils de 16 ans a pris par erreur trois comprimés, elle a utilisé le spray. Il a repris conscience en moins de deux minutes. Elle n’a plus jamais douté. « Ce spray a sauvé ma vie, et la sienne. »
C’est ce que veut dire la préscription concomitante : ce n’est pas une fin, c’est une sécurité. Une assurance pour les jours où tout peut mal tourner.
Le futur : plus d’accès, plus de compréhension
En 2023, la FDA a approuvé le premier spray nasal générique, ce qui a fait chuter les prix de 40 %. Le gouvernement américain a alloué 100 millions de dollars pour distribuer des kits dans les communautés à risque. Et en 2025, un nouveau médicament, une forme longue durée de naloxone, devrait être disponible - ce qui pourrait changer la donne pour les patients à risque récurrent.
Les données sont claires : pour chaque augmentation de 10 % de la distribution de naloxone, la mortalité par surdose diminue de 1,2 %. Ce n’est pas une solution miracle, mais c’est l’une des interventions les plus efficaces qu’on ait jamais trouvée.
Que faire maintenant ?
Si vous êtes patient sous opioïdes : demandez à votre médecin si vous devriez avoir un spray de naloxone à la maison. Si vous êtes médecin : intégrez cette question dans votre routine d’évaluation. Si vous êtes proche d’un patient : apprenez à l’utiliser. Le naloxone ne sauve pas que les toxicomanes. Il sauve les personnes atteintes de douleur chronique, les anciens patients, les enfants, les grands-parents. Il sauve des familles entières.
Le naloxone peut-il être utilisé par n’importe qui, même sans formation médicale ?
Oui. Les sprays nasaux modernes, comme Narcan® ou les génériques, sont conçus pour être utilisés par des non-professionnels. Il suffit d’insérer le spray dans une narine et d’appuyer sur le dispositif. Aucune injection, aucune compétence technique. Les instructions sont imprimées sur l’emballage, et les vidéos explicatives sont disponibles gratuitement sur les sites du CDC ou de l’OMS.
Le naloxone est-il dangereux s’il est donné à quelqu’un qui n’a pas surdosé ?
Non. Le naloxone n’a aucun effet sur les personnes qui n’ont pas d’opioïdes dans leur sang. Il ne provoque pas de réaction allergique grave, ni d’effets secondaires majeurs. Même si vous l’administrez par erreur, il ne fait pas de mal. C’est pourquoi les experts disent : « Mieux vaut l’utiliser et ne pas en avoir besoin, que de ne pas l’utiliser et le regretter. »
Pourquoi certains patients refusent-ils le naloxone ?
La plupart du temps, c’est la honte. Ils pensent que le médecin les juge, ou qu’ils sont « des toxicos ». D’autres craignent que leur famille ne les voie comme une menace. Mais les études montrent que quand les médecins expliquent que c’est une mesure de précaution - comme un défibrillateur dans une maison avec un diabétique - la majorité acceptent. Il faut parler avec bienveillance, pas avec peur.
Le naloxone remplace-t-il le traitement de la dépendance ?
Non. Le naloxone est un outil de sauvetage, pas de guérison. Il réagit à une surdose, mais ne traite pas la dépendance. Il doit être associé à des soins de long terme : thérapie, soutien psychologique, médicaments comme la buprénorphine. Mais sans naloxone, beaucoup ne vivent pas assez longtemps pour recevoir ces traitements.
Le naloxone est-il disponible en France ?
Oui, mais pas encore en prescription systématique. Le spray nasal est disponible en pharmacie sur ordonnance, et certains centres de soins le proposent déjà. Mais il n’existe pas encore de recommandation nationale comme aux États-Unis. Les associations de patients et certains hôpitaux commencent à le promouvoir, mais la prise en charge par la Sécurité sociale reste limitée. Il est temps que cela change.
Quels sont les signes d’une surdose d’opioïdes ?
Les trois signes principaux sont : 1) La respiration est très lente (moins de 8 respirations par minute) ou absente ; 2) La personne ne répond pas quand on la secoue ou qu’on lui parle ; 3) Les pupilles sont très petites, comme des points. La peau peut devenir bleuâtre, surtout autour des lèvres. Si vous voyez ça, agissez immédiatement : appelez les secours, administrez le naloxone, puis restez avec la personne jusqu’à l’arrivée des pompiers.
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