- 11 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Le syndrome de Stevens-Johnson et la nécrolyse épidermique toxique sont deux réactions cutanées extrêmement rares, mais potentiellement mortelles, déclenchées presque toujours par un médicament. Elles ne sont pas deux maladies distinctes, mais deux points extrêmes d’un même spectre de détérioration de la peau. La différence ? La surface de la peau qui se détache. Moins de 10 % : c’est le syndrome de Stevens-Johnson. Plus de 30 % : c’est la nécrolyse épidermique toxique. Entre les deux, une zone floue appelée forme de chevauchement. Ce n’est pas une simple éruption cutanée. C’est une urgence médicale qui ressemble à un grave brûlé, mais sans chaleur ni flamme.
Comment ça commence ?
Il n’y a pas de signes évidents au début. Vous vous sentez simplement malade comme après une grippe : fièvre à plus de 39 °C, maux de tête, toux, gorge irritée, yeux rouges et fatigués. Cela dure un à trois jours. Puis, d’un coup, votre peau change. Des taches rouges ou violacées apparaissent, souvent sur le torse, puis se répandent vers les bras, les jambes, le visage. Elles ne sont pas en relief comme une urticaire. Elles sont plates, comme des marques laissées par un fer chaud. Et elles ne tardent pas à se transformer en cloques. Ces cloques, elles ne sont pas pleines de liquide clair. Elles sont flasques, comme du papier mouillé. Elles se détachent au moindre contact. C’est ce qu’on appelle le signe de Nikolsky : vous appuyez légèrement sur la peau, et elle se déchire.
Et ce n’est pas seulement la peau. Les muqueuses sont touchées, partout. Dans la bouche, vous ne pouvez plus manger ni parler. Les lèvres sont en croûte, la langue brûle. Les yeux sont rouges, douloureux, comme si vous aviez du sable sous les paupières. Dans les organes génitaux, la douleur est insoutenable. Même la gorge et les poumons peuvent être atteints. C’est pourquoi, dans 90 % des cas, la bouche est impliquée. Dans 80 %, les yeux. Dans 60 %, les parties intimes. Il faut au moins deux zones muqueuses touchées pour poser le diagnostic.
Qui est concerné ?
Ces réactions touchent 1 à 6 personnes sur un million chaque année. Elles sont plus fréquentes chez les adultes, entre 20 et 40 ans. Mais elles peuvent aussi arriver chez les enfants, surtout après une infection comme la pneumonie à Mycoplasma. Ce n’est pas une question de santé fragile. Même une personne en bonne santé peut y être exposée. La vraie clé, c’est la génétique. Certains gènes rendent votre corps capable de réagir de façon catastrophique à un médicament que la plupart des gens tolèrent parfaitement.
Le plus connu ? L’HLA-B*15:02. Si vous avez ce gène et que vous prenez la carbamazépine (un médicament contre l’épilepsie), votre risque de développer un syndrome de Stevens-Johnson augmente de 1 000 fois. Un autre gène, l’HLA-B*58:01, multiplie par 80 à 580 le risque avec l’allopurinol (utilisé pour la goutte). Ces tests génétiques existent. En Taiwan, ils sont obligatoires avant de prescrire la carbamazépine. Résultat ? Une chute de 80 % des cas depuis 2007. En France, ce n’est pas encore une règle, mais les médecins le savent. Et ils le demandent, surtout si vous êtes d’origine asiatique.
Quels médicaments sont en cause ?
Plus de 80 % des cas sont causés par un médicament. Les trois principaux coupables :
- Les anticonvulsivants : carbamazépine, phénytoïne, lamotrigine - 30 % des cas
- Les sulfamides : triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim), 20 % des cas
- L’allopurinol : pour la goutte, 15 % des cas
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme le diclofénac ou le kétoprofène, certains antibiotiques, et même le névirapine (pour le VIH) peuvent aussi déclencher la réaction. Même un simple paracétamol, dans de rares cas. Ce n’est pas une question de dose. Même une seule prise peut suffire. Et parfois, c’est la première fois que vous prenez le médicament. D’autres fois, vous le prenez depuis des mois, et d’un coup, tout explose.
Comment on le diagnostique ?
Il n’y a pas d’analyse de sang qui confirme tout seul. Le diagnostic, c’est une combinaison de ce que vous racontez, de ce que voit le médecin, et surtout, d’une biopsie de peau. On prélève un petit morceau de peau, on le regarde au microscope. Ce qu’on cherche ? Une nécrose totale de l’épiderme - c’est-à-dire la mort de toutes les cellules de la couche superficielle de la peau - avec presque pas d’inflammation dans la couche en dessous. C’est ce qui distingue cette maladie des autres éruptions, comme le syndrome de peau brûlée par les staphylocoques, qui touche surtout les enfants et montre une séparation plus superficielle.
Les médecins utilisent aussi un outil appelé SCORTEN. Il évalue sept facteurs dans les 24 heures suivant l’admission : votre âge, votre rythme cardiaque, la surface de peau détachée, vos taux de sucre, d’urée, de bicarbonate, et si vous avez un cancer. Chaque facteur augmente votre risque de mourir. Trois facteurs ? 35 % de risque de décès. Cinq ou plus ? Presque 90 %. C’est un outil pour anticiper, pas pour diagnostiquer. Mais il guide les soins.
Que fait-on en urgence ?
La première règle ? Arrêter tous les médicaments. Tous. Même ceux qui semblent inoffensifs. On ne sait jamais lequel a déclenché la réaction. Ensuite, hospitalisation immédiate - souvent en unité de brûlés ou en soins intensifs. Votre peau perd des liquides comme un grand brûlé. Vous avez besoin de trois à quatre fois plus de liquides que ce qu’une personne normale consomme par jour. Sans ça, vos reins échouent. Votre tension chute. Vous entrez en choc.
Les plaies doivent être traitées comme des brûlures. Pas de pansements qui collent. Des bandages doux, non adhérents. Des soins de plaie très doux. Pas de désinfectants agressifs. Pas de peeling. L’objectif ? Protéger la peau nue, éviter les infections, et laisser le corps se réparer.
Les yeux ? Un ophtalmologiste doit venir tous les jours. Sans soins précis, vous risquez des cicatrices sur la cornée, des adhérences entre la paupière et l’œil, voire une perte de vision permanente. 50 à 80 % des survivants ont des problèmes oculaires chroniques.
Et les traitements ?
Il n’y a pas de traitement universel. Et beaucoup de choses ont été essayées… sans succès.
Les immunoglobulines intraveineuses (IVIG) : on pensait qu’elles bloquaient la réaction. Des études ont montré qu’elles ne réduisent pas la mortalité. Elles sont encore utilisées par certains, mais sans preuve solide.
Les corticoïdes : on les a longtemps donnés en fortes doses. Mais ils augmentent le risque d’infections. Et les infections, c’est ce qui tue. Aujourd’hui, certains médecins les utilisent en dose courte et intense, au tout début. Mais c’est controversé.
La cyclosporine, en revanche, montre de bons résultats. Un essai en 2016 a montré que le taux de mortalité est tombé de 33 % à 12,5 % chez les patients traités. C’est une immunosuppressive, mais elle semble cibler précisément la réaction destructrice.
Et puis il y a l’étanercept. C’est un médicament qui bloque une protéine appelée TNF-alpha, un moteur de l’inflammation. Dans une étude de 2019, 12 patients traités dans les 48 heures n’ont pas eu un seul décès. Dans le groupe témoin, 31 % sont morts. C’est prometteur. Des essais plus larges sont en cours.
Et après ? La vie après la maladie
Survivre n’est pas la fin. C’est le début d’un autre combat. 60 à 80 % des survivants ont des séquelles à long terme.
- Les yeux : sécheresse chronique (35 %), cicatrices de la cornée (25 %), perte de vision (5 %)
- La peau : taches plus foncées ou plus claires (70 %), cicatrices (40 %), ongles déformés (25 %)
- Les organes génitaux : rétrécissements de l’urètre (15 %), adhérences vaginales (10 %) - parfois nécessitant une chirurgie
- Les poumons : fibrose, difficultés respiratoires
Et puis il y a la douleur psychologique. 40 % des survivants développent un trouble de stress post-traumatique. Ils ont vu leur peau se détacher. Ils ont entendu les cris des autres dans l’unité. Ils ont eu peur de mourir. Et ils savent que ce n’est pas fini. Ce n’est pas une maladie qu’on oublie. Elle change la vie.
Comment éviter ça ?
La meilleure arme, c’est la prévention. Si vous êtes d’origine asiatique, demandez un test génétique avant de prendre la carbamazépine ou l’allopurinol. C’est simple, rapide, et ça peut vous sauver la vie. Même si vous n’êtes pas d’origine asiatique, parlez-en à votre médecin si vous avez déjà eu une éruption cutanée bizarre après un médicament. C’est un signe d’alerte.
Ne prenez jamais un nouveau médicament sans connaître les effets secondaires. Et si vous avez une réaction cutanée après un traitement - même légère - arrêtez-le et consultez immédiatement. Ne dites pas « ce n’est peut-être rien ». Ce n’est peut-être pas rien. C’est peut-être le début d’un cauchemar.
La science avance. Des tests génétiques rapides, des traitements ciblés, des registres mondiaux pour mieux comprendre. Mais tant que les médicaments seront prescrits sans connaître la réaction de votre corps, ce risque restera. Et vous êtes la première ligne de défense. Votre corps vous parle. Apprenez à l’écouter.
Le syndrome de Stevens-Johnson est-il contagieux ?
Non, ce n’est pas une maladie contagieuse. Ce n’est pas une infection. C’est une réaction du système immunitaire à un médicament ou à une infection. Vous ne pouvez pas la transmettre à quelqu’un d’autre par contact, par l’air ou par les fluides. Les personnes qui soignent un patient atteint ne sont pas en danger de contracter la maladie.
Combien de temps dure une crise de SJS/TEN ?
La phase aiguë, où la peau se détache, dure en moyenne 8 à 12 jours. Mais la récupération complète peut prendre des mois, voire des années. La peau repousse, mais les séquelles - comme les cicatrices, les problèmes oculaires ou les troubles psychologiques - peuvent persister longtemps. Certains patients ont besoin de soins spécialisés pendant des années.
Les enfants peuvent-ils être touchés ?
Oui, mais c’est plus rare. Chez les enfants, les infections - surtout la pneumonie à Mycoplasma - sont plus souvent la cause que les médicaments. Les symptômes sont similaires, mais les taux de mortalité sont légèrement plus bas que chez les adultes. Le traitement est le même : arrêt des médicaments, soins intensifs, prise en charge des muqueuses et des yeux.
Pourquoi les tests génétiques ne sont-ils pas obligatoires partout ?
Parce que les tests génétiques ne sont pas encore standardisés dans tous les pays, et qu’ils coûtent de l’argent. En France, ils ne sont pas encore requis systématiquement, sauf dans certains cas à haut risque. Mais les recommandations évoluent. Des études montrent que les tests pour HLA-B*15:02 et HLA-B*58:01 sont rentables : un seul test évite des centaines de cas graves. De plus en plus de médecins les demandent, surtout pour les patients d’origine asiatique ou avec un antécédent d’éruption cutanée.
Est-ce que je peux reprendre un médicament qui a causé une réaction ?
Jamais. Si vous avez eu un syndrome de Stevens-Johnson ou une nécrolyse épidermique toxique à cause d’un médicament, vous ne devez jamais le reprendre. Même une petite dose peut déclencher une réaction encore plus grave, et mortelle. Vous devez porter une alerte médicale (bracelet, carte) et informer tous vos médecins. Certains médicaments de la même famille sont aussi à éviter.
2 Commentaires
Je viens de finir de lire cet article en entier… et je suis choqué. On parle de réactions mortelles, et pourtant on continue à prescrire ces médicaments comme si c’était des cachets de vitamine C. C’est inadmissible.
Je travaille en hôpital, j’ai vu un patient passer de « juste une éruption » à l’unité de brûlés en 36h…
Personne ne s’attendait à ça. Ce que tu décris, c’est la réalité. Merci d’avoir mis ça en lumière.