- 30 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Vous avez peut-être déjà remarqué cela : votre pharmacien vous remet un médicament qui porte le même nom que celui que votre médecin a prescrit, mais avec un emballage différent. Vous pensez que c’est un générique classique. Sauf que non. C’est un générique autorisé. Et pourtant, il n’existe pas pour tous les médicaments. Pourquoi ? Parce que la décision de les produire dépend entièrement des laboratoires pharmaceutiques qui ont inventé le médicament d’origine.
Qu’est-ce qu’un générique autorisé ?
Un générique autorisé, c’est exactement le même médicament que le produit de marque, fabriqué par le même laboratoire, dans la même usine, avec les mêmes ingrédients, les mêmes procédés et les mêmes contrôles de qualité. La seule différence ? Il est vendu sans le nom de marque, sous un nom générique, et à un prix plus bas. Contrairement aux génériques traditionnels, qui doivent prouver leur équivalence thérapeutique à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ou à la FDA, les génériques autorisés n’ont pas besoin de cette étude. Ils bénéficient directement de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament d’origine.
Pourquoi cette exception ? Parce qu’ils sont produits sous le même dossier d’autorisation (NDA aux États-Unis, AMM en Europe) que le médicament de marque. Cela signifie que le laboratoire qui a inventé le médicament peut lancer sa propre version générique à tout moment - même avant la fin du brevet. C’est ce que Mylan a fait avec l’EpiPen en 2016, alors que le brevet n’était pas encore expiré.
Pourquoi certains médicaments n’ont pas de génériques autorisés ?
La réponse est simple : parce que les laboratoires ne le veulent pas. Les génériques autorisés ne sont pas un droit du patient. Ce n’est pas une obligation légale. C’est une stratégie commerciale. Et cette stratégie n’est utilisée que pour les médicaments rentables.
En 2019, la FDA recensait 1 215 génériques autorisés aux États-Unis. Sur un marché de plus de 20 000 molécules, c’est moins de 6 %. Et ces 1 215 médicaments ne sont pas répartis au hasard. 68 % d’entre eux concernent des produits dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 500 millions de dollars. Ce sont les médicaments qui rapportent le plus - les traitements pour le cœur, le cerveau, les troubles gastro-intestinaux. Ceux que les patients prennent tous les jours pendant des années.
Un médicament à 50 dollars par mois, pris par 100 000 personnes, c’est 60 millions de dollars par an. Si un générique traditionnel arrive, il peut faire chuter ce chiffre à 10 millions. Mais si le laboratoire lance son propre générique autorisé, il garde la majorité du marché. Il perd un peu de marge, mais il empêche un concurrent de s’emparer de la totalité de la clientèle.
Les conséquences pour les patients
À court terme, les génériques autorisés peuvent faire baisser les prix. Lorsqu’un générique autorisé entre en concurrence avec un générique traditionnel pendant la période d’exclusivité de 180 jours, les prix à la pharmacie baissent de 4 à 8 %, et les prix de gros de 7 à 14 %. Cela peut représenter une économie de 18,75 dollars par ordonnance, selon une étude d’AARP.
Mais cette baisse est souvent temporaire. Et elle a un prix caché : elle décourage les autres laboratoires de lancer des génériques. Pourquoi investir des millions dans une étude de bioéquivalence, attendre trois ans pour une autorisation, et risquer un procès en contrefaçon de brevet, si le laboratoire de marque va lancer son propre générique en même temps ?
Des études montrent que la simple menace d’un générique autorisé réduit de 60 % la probabilité qu’un concurrent lance un vrai générique. C’est comme si le laboratoire de marque disait : « Si vous venez, je vous écrase. »
Confusion et complications pour les professionnels
Les patients ne sont pas les seuls à être perdus. Les pharmaciens aussi.
Un sondage réalisé dans les pharmacies Walgreens en 2015 a révélé que 27 % des erreurs de préparation d’ordonnances étaient liées à la présence simultanée d’un médicament de marque et de son générique autorisé. Les deux produits ont le même nom chimique, la même forme, le même dosage. La seule différence ? Le nom du fabricant sur l’emballage. Certains patients reçoivent la version de marque, d’autres la version « générique » - sans savoir qu’ils sont identiques. D’autres encore voient leur traitement changer d’un mois à l’autre, sans explication.
Les médecins sont aussi confrontés à ce chaos. Selon une enquête de l’American Medical Association en 2018, 63 % des médecins trouvent que les génériques autorisés compliquent les décisions de substitution. « Je ne sais plus quel médicament mon patient a réellement pris », confiait un médecin à l’issue de l’enquête. « Est-ce que c’est la version de marque ? Ou la version du laboratoire ? Est-ce que ça change quelque chose ? »
Le débat législatif : protéger la concurrence ou protéger les profits ?
Depuis 2003, des législateurs américains ont tenté d’interdire les génériques autorisés pendant la période d’exclusivité des premiers génériques. Le projet de loi H.R. 573, appelé « Preserve Access to Affordable Generics Act », vise à empêcher les laboratoires de lancer leur propre générique pour bloquer la concurrence. Il a été réintroduit en 2023 avec 43 cosignataires bipartisans.
La FTC (Commission fédérale du commerce) soutient cette position. Dans un rapport de 2011, elle a montré que les génériques autorisés réduisent les revenus des premiers génériques de 40 à 52 % pendant la période d’exclusivité. Ce qui signifie que les vrais concurrents ne sont pas seulement écrasés - ils sont découragés d’entrer sur le marché.
Les laboratoires, eux, répondent que les génériques autorisés augmentent la concurrence et font baisser les prix. Pfizer affirme que son générique autorisé de Lyrica a réduit les prix de 12 % en trois mois. Mais cette baisse, c’est la sienne. Ce n’est pas un vrai concurrent qui l’a provoquée. C’est lui-même.
Le futur des génériques autorisés
La FDA a réagi en 2022 en publiant ses listes de génériques autorisés tous les trois mois au lieu d’une fois par an. C’est un progrès, mais ce n’est pas une solution. La transparence ne change pas la règle fondamentale : les génériques autorisés existent uniquement si le laboratoire de marque en décide ainsi.
Les tendances montrent qu’ils sont de plus en plus utilisés dans les accords de règlement de brevet. En 2022, 78 % des accords entre laboratoires de marque et fabricants de génériques incluaient une clause « pas de générique autorisé ». Autrement dit, le laboratoire de marque promet de ne pas lancer son propre générique - en échange de paiements massifs pour retarder l’entrée du vrai générique. C’est ce qu’on appelle les « reverse payments ». Et c’est une forme de collusion légalisée.
À long terme, les génériques autorisés pourraient reculer. Les biosimilaires prennent de l’ampleur, et les autorités de santé commencent à les considérer comme une meilleure forme de concurrence. Mais tant que les laboratoires peuvent gagner plus en bloquant la concurrence qu’en la laissant se développer, les génériques autorisés resteront un outil de contrôle, pas un outil de démocratisation.
Que faire si votre médicament n’a pas de générique autorisé ?
Si votre traitement est cher et qu’il n’existe pas de générique autorisé, vous avez trois options :
- Demander à votre médecin s’il existe un médicament équivalent, mais générique, sur une autre molécule. Parfois, un autre traitement a le même effet, mais est beaucoup moins cher.
- Contacter le laboratoire pour demander un programme d’aide financière. Beaucoup proposent des cartes de réduction ou des programmes de patient.
- Surveiller les brevets. Quand un médicament perd son brevet, un vrai générique peut arriver - même sans générique autorisé. Cela peut prendre plusieurs années, mais la baisse des prix est souvent plus durable.
Ne vous contentez pas de la première version générique que vous voyez. Vérifiez le nom du fabricant. Si c’est le même que celui du médicament de marque, c’est un générique autorisé. Et s’il n’existe pas, c’est parce que personne ne veut que vous payiez moins.