- 4 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Les biosimilaires ne sont pas des génériques. C’est une différence cruciale, et pourtant, beaucoup les confondent. Les génériques copient des médicaments chimiques simples, comme le paracétamol. Les biosimilaires, eux, tentent de reproduire des médicaments vivants - des protéines complexes fabriquées dans des cellules vivantes. Ce n’est pas comme copier un fichier PDF. C’est comme essayer de recréer une orchidée à partir d’une autre orchidée, sans jamais obtenir l’exacte même plante. Pourtant, ces copies « très similaires » peuvent faire des économies énormes.
Combien économise-t-on vraiment avec un biosimilaire ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, les biosimilaires ont généré 20,2 milliards de dollars d’économies aux États-Unis seulement. Depuis leur arrivée en 2015, ce sont plus de 56,2 milliards de dollars qui ont été économisés dans le système de santé. Ce n’est pas une petite somme. C’est l’équivalent de financer des milliers de traitements pour des patients qui n’auraient jamais pu se les permettre.
Les économies varient selon le médicament. Pour l’Humira (adalimumab), le biologique le plus vendu au monde, les biosimilaires lancés en 2023 ont réduit le prix de liste jusqu’à 85 %. Mais attention : ce n’est pas toujours le prix payé par le patient. Les systèmes de remises entre fabricants et gestionnaires de prestations (PBMs) compliquent tout. Le prix affiché peut être bas, mais la remise sur l’originel peut rendre ce dernier plus attractif pour les assureurs - même s’il coûte deux fois plus cher à l’achat.
En pratique, les patients paient en moyenne 23 % moins avec un biosimilaire que avec l’originel, selon des données de CSRxP en 2025. Pour les employeurs, le gain est massif : passer un employé de l’Humira originel à son biosimilaire permet d’économiser en moyenne 1,53 million de dollars sur l’ensemble des employés. Si tous les organismes américains faisaient ce changement pour deux biologiques seulement, les économies totales dépasseraient 1,4 milliard de dollars.
Pourquoi les biosimilaires ne font-ils pas 90 % d’économies comme les génériques ?
Parce que la fabrication est une bataille de laboratoire, pas de chimie. Un générique de pilule contient une molécule simple, identique à l’originel. Un biosimilaire est une protéine vivante, produite dans des cellules de hamster ou de souris modifiées génétiquement. Chaque lot est unique. Même avec les mêmes instructions, deux usines ne produiront jamais exactement la même protéine. C’est pourquoi les biosimilaires ne peuvent être que « très similaires », pas identiques.
Cette complexité augmente les coûts de développement. Un générique peut coûter 1 à 5 millions de dollars à mettre sur le marché. Un biosimilaire, lui, nécessite entre 100 et 300 millions de dollars. C’est pourquoi les économies sont plus modestes : entre 15 % et 35 % en moyenne sur le prix de vente, contre 80-90 % pour les génériques. Mais ces 35 %, appliqués à des médicaments qui coûtent 10 000 dollars par an, c’est quand même 3 500 dollars de gain par patient.
Les biosimilaires fonctionnent-ils aussi bien que les originaux ?
Oui. Pas « presque aussi bien ». Exactement aussi bien. Depuis 2015, plus de 3,3 milliards de jours de traitement ont été réalisés avec des biosimilaires. Aucun problème de sécurité ou d’efficacité distinct n’a été identifié. Les études publiées dans le JAMA Network Open et d’autres revues médicales confirment : les biosimilaires ont les mêmes résultats cliniques que les biologiques d’origine. Leur sécurité, leur pureté, leur puissance - tout est vérifié par la FDA et l’EMA avant autorisation.
Les patients ne font pas de différence. Les médecins non plus - quand ils comprennent ce qu’est un biosimilaire. Le vrai problème, ce n’est pas la science. C’est la méfiance. Beaucoup pensent que « moins cher = moins bon ». Ce n’est pas vrai. C’est comme croire qu’une voiture d’occasion bien entretenue est moins sûre qu’une neuve. Ce n’est pas la même voiture, mais elle roule aussi bien.
Le problème du « vide biosimilaire »
Il y a un énorme problème qui risque de gâcher tout ce potentiel : la plupart des biologiques n’ont pas de biosimilaires en préparation. Sur les 118 biologiques qui vont perdre leur brevet dans les 10 prochaines années, seulement 12 ont un biosimilaire en développement. Soit 90 % sans concurrent. C’est ce qu’on appelle le « vide biosimilaire ».
En Europe, 73 % des biologiques les plus vendus ont un biosimilaire en cours de développement. Aux États-Unis, ce chiffre n’est que de 23 %. Pourquoi ? Parce que les entreprises pharmaceutiques préfèrent prolonger les brevets, bloquer les entrées avec des litiges, ou offrir des remises cachées aux assureurs pour garder leur monopole. Résultat : le marché reste figé. En 2023, les biologiques d’origine représentaient encore 98,9 % de toutes les dépenses en biologiques. C’est presque un monopole.
Le coût de cette inaction ? 234 milliards de dollars d’économies perdues dans les dix prochaines années. C’est l’équivalent du budget annuel de la santé publique dans plusieurs pays européens. Et ça, c’est juste en Amérique.
Comment maximiser les économies ?
Les économies ne viennent pas toutes seules. Il faut les activer. Voici comment les assureurs, les employeurs et les systèmes de santé peuvent y arriver :
- Privilégier les biosimilaires dans les listes de médicaments : les formularies doivent mettre les biosimilaires en première position, pas en dernier.
- Imposer un essai du biosimilaire avant l’originel : c’est ce qu’on appelle le « step therapy ». Si un patient peut commencer par un biosimilaire, il le fait - sauf contre-indication.
- Négocier des contrats transparents : ne pas se laisser tromper par les remises cachées. Le prix de liste n’est pas le prix réel. Il faut analyser les contrats avec les PBMs pour voir ce qui est vraiment payé.
- Éduquer les médecins et les patients : une étude montre que 70 % des médecins hésitent à prescrire un biosimilaire par manque d’information. Un simple atelier peut changer ça.
Les grandes entreprises de santé, comme Optum Rx ou WTW, ont déjà mis en place des programmes pour ça. Mais ce n’est pas encore la norme. Il faut que les systèmes de santé fassent un choix : continuer à payer 10 000 dollars pour un médicament, ou 6 500 dollars pour une version aussi efficace.
Le modèle européen : ce que l’Amérique peut apprendre
En Norvège, 86 % des patients traités avec un biologique utilisent un biosimilaire dès les trois premières années après son arrivée. En France et en Allemagne, les parts de marché dépassent 70 % pour plusieurs traitements. Pourquoi ? Parce qu’ils ont des règles claires : prix fixés par l’État, pas de remises cachées, et une obligation pour les hôpitaux d’utiliser le moins cher quand c’est équivalent.
En Amérique, le système est basé sur la négociation secrète entre laboratoires et PBMs. Le résultat ? Les prix restent élevés, même quand des alternatives existent. Les Européens ont choisi la transparence. Les Américains ont choisi la complexité.
Le 2024 Inflation Reduction Act a commencé à changer la donne pour Medicare Part D, en limitant les hausses de prix. Mais ce n’est que le début. Sans réforme structurelle, les biosimilaires resteront un outil sous-utilisé.
Le futur : des économies réelles ou des promesses non tenues ?
Les biosimilaires ne sont pas une mode. Ce sont la prochaine étape logique de la médecine moderne. Ils permettent de sauver des vies, pas seulement de faire des économies. Un patient atteint de polyarthrite rhumatoïde ou de maladie de Crohn qui ne peut plus se payer son traitement - c’est un patient qui souffre inutilement.
Si rien ne change, les économies potentielles de 234 milliards de dollars disparaîtront. Les laboratoires continueront à tirer profit d’un système opaque. Les patients paieront toujours trop. Les systèmes de santé seront encore plus en difficulté.
Si on agit - en encourageant la recherche, en interdisant les abus de brevets, en exigeant la transparence des prix - alors les biosimilaires pourraient devenir la norme. Et les économies ne seraient plus un chiffre dans un rapport. Elles deviendraient des traitements pour des milliers de personnes.
Le choix est simple : payer plus pour la même chose, ou payer moins pour la même efficacité. La science est là. Les preuves sont là. Ce qu’il manque, c’est la volonté politique et commerciale de faire le bon choix.
3 Commentaires
Les biosimilaires sont une avancée majeure, mais la méfiance reste profondément ancrée. Je travaille dans un hôpital, et même après des formations, certains médecins hésitent encore. Pourtant, les données sont claires : pas une seule étude sérieuse n’a montré une différence clinique. Il faut arrêter de confondre « différent » avec « moins bon ».