- 28 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Quand un pharmacien remplace un médicament par un autre, ce n’est pas une simple décision technique. C’est un acte médical encadré par la loi, avec des règles qui varient d’un État à l’autre aux États-Unis. Et pourtant, la plupart des patients n’ont aucune idée de ce qui se passe derrière le comptoir. Le pharmacien ne choisit pas au hasard. Il suit des protocoles précis, vérifie des bases de données fédérales, et parfois, il doit même appeler le médecin. Tout cela pour économiser de l’argent, éviter les ruptures de stock, et surtout, garantir que le patient reçoit un traitement sûr et efficace.
Qu’est-ce que la substitution médicamentaire ?
Il existe deux types principaux de substitution. La substitution générique est la plus courante : elle consiste à remplacer un médicament de marque par une version générique, identique sur le plan thérapeutique, mais beaucoup moins chère. Les génériques doivent répondre à des normes strictes de l’FDA : leur absorption dans le corps doit être comprise entre 80 % et 125 % de celle du médicament d’origine. Cela garantit qu’ils ont le même effet. En 2023, plus de 90 % des ordonnances aux États-Unis ont été remplies avec des génériques - soit 6,34 milliards de prescriptions par an.
La substitution thérapeutique, elle, est plus complexe. Elle consiste à remplacer un médicament par un autre de la même classe thérapeutique, mais chimiquement différent. Par exemple, remplacer un inhibiteur de la pompe à protons par un autre, ou un antihypertenseur par un autre type. Ce n’est pas une simple alternative : c’est un changement de stratégie. Et là, les règles changent du tout au tout selon l’État.
Les lois varient d’un État à l’autre - et c’est un cauchemar pour les pharmaciens
Tous les 50 États et le District de Columbia autorisent la substitution générique. Mais seulement 27 permettent la substitution thérapeutique - et même là, les conditions diffèrent radicalement.
En Colorado, les pharmaciens peuvent substituer des médicaments pour des maladies chroniques comme l’hypertension ou le diabète, sans demander l’autorisation du médecin, à condition qu’ils suivent un protocole d’État. Ils doivent écrire clairement sur l’ordonnance : « Substitution thérapeutique intentionnelle ». Le tout en 5 minutes par patient. Ce système a permis à un pharmacien de Denver de soigner 47 patients qui n’avaient pas pu voir leur médecin depuis plus d’un mois.
En Californie, la substitution thérapeutique n’est autorisée que pour l’insuline, et seulement si le patient est diabétique, stable, et qu’il a déjà utilisé le médicament d’origine. En Alabama, il faut une autorisation écrite du médecin pour tout changement. En Massachusetts, la substitution est interdite pour les médicaments à index thérapeutique étroit, comme la warfarine. En Maryland, depuis octobre 2023, les pharmaciens peuvent prescrire directement des contraceptifs - un changement majeur.
Le résultat ? Un pharmacien qui travaille dans deux États différents doit apprendre deux systèmes complètement distincts. Un même patient, en voyageant de l’Ohio à la Floride, peut se voir proposer des substitutions totalement différentes pour la même ordonnance.
La documentation : un fardeau administratif qui ralentit tout
La loi exige que chaque substitution soit documentée. Mais comment ? Dans 32 États, il faut noter la substitution directement sur l’ordonnance papier ou électronique. Dans 14 autres, il faut le faire dans les 72 heures. Dans 19 États, le médecin doit être notifié dans les 24 à 48 heures. Et dans 12 États, le patient doit signer un formulaire de consentement.
Les systèmes informatiques ne sont pas toujours synchronisés. Un pharmacien dans une chaîne nationale comme CVS ou Walgreens a souvent 3 ou 4 logiciels différents à utiliser : un pour la facturation, un pour les dossiers médicaux, un pour les protocoles d’État. Résultat : 58 % des pharmaciens interrogés en 2023 ont dit que les erreurs de documentation venaient de ces incompatibilités.
Et puis il y a les patients. 78 % des plaintes en pharmacie concernent la confusion : « Pourquoi on m’a changé mon médicament ? » « Est-ce que c’est pareil ? » « Est-ce que ça va marcher ? » La plupart des pharmaciens passent plus de temps à expliquer qu’à remplir des ordonnances.
Les économies : des milliards d’économies, mais pas partout
La substitution générique a fait économiser au système de santé américain 1,97 billion de dollars entre 2012 et 2022. Soit en moyenne 197 milliards par an. La substitution thérapeutique, elle, pourrait en faire économiser entre 45 et 60 milliards supplémentaires chaque année - si elle était mieux utilisée.
Les régions rurales en bénéficient le plus. Dans les zones où il n’y a pas de médecin à moins de 50 kilomètres, la capacité d’un pharmacien à substituer un traitement peut empêcher un patient de ne pas prendre son médicament du tout. Les données des Centers for Medicare & Medicaid Services montrent que dans ces zones, la substitution réduit les écarts d’accès aux médicaments de 34 %, contre seulement 19 % en milieu urbain.
Pourtant, l’adoption est inégale. Dans le New Mexico, où les pharmaciens ont les plus larges pouvoirs, 87 % des pharmacies utilisent la substitution thérapeutique. Dans l’Alabama, ce chiffre tombe à 22 %.
Les nouveaux pouvoirs : quand les pharmaciens deviennent prescripteurs
En juillet 2022, la FDA a autorisé tous les pharmaciens à prescrire Paxlovid, un traitement contre la COVID-19. C’était la première fois qu’une autorité fédérale donnait aux pharmaciens un pouvoir de prescription pour un médicament spécifique, sans passer par un médecin. Il fallait vérifier l’âge du patient, son poids, son test positif, et sa fonction rénale ou hépatique - tout ça en moins de 10 minutes.
Depuis, d’autres États ont suivi. Le Maryland permet la prescription de contraceptifs. Le Colorado permet de prescrire des traitements pour l’arrêt du tabac. En Oregon, les pharmaciens peuvent prescrire des traitements pour l’asthme ou l’hypertension sans autorisation préalable.
Ces changements ne sont pas anodins. Ils transforment le pharmacien d’un simple distributeur en acteur de soins primaires. Mais cela demande une formation supplémentaire. Dans les États avec des pouvoirs élargis, les pharmaciens doivent suivre entre 10 et 15 heures de formation obligatoire. Dans les systèmes complexes comme celui du Colorado, cela peut monter à 12,75 heures pour un seul protocole.
Les résistances : les médecins et la peur du désordre
Malgré les preuves, certains médecins s’opposent. Le Dr David A. Fleming, ancien président de l’American College of Physicians, a écrit en 2022 que la substitution sans accès aux dossiers médicaux complets risque de fragmenter les soins, surtout pour les patients avec plusieurs maladies chroniques.
La American Medical Association continue de plaider pour une supervision médicale stricte. Elle craint que des patients complexes ne se retrouvent avec des traitements mal coordonnés - par exemple, un anticoagulant remplacé par un autre sans que le cardiologue soit informé.
Les pharmaciens répondent qu’ils ne font pas de diagnostic. Ils agissent sur des protocoles clairs, avec des critères d’éligibilité précis. Et ils ont accès aux dossiers électroniques. En 2023, selon l’American Pharmacists Association, 68 % des pharmaciens dans les États avec des pouvoirs élargis ont rapporté une amélioration des résultats pour les patients.
Quel avenir pour la substitution ?
En mars 2024, 19 États ont introduit des projets de loi pour élargir les pouvoirs des pharmaciens. Sept, dont la Virginie et l’Illinois, devraient adopter des réformes avant la fin de l’année. Les tendances futures sont claires : standardisation des protocoles entre États, extension aux traitements de santé mentale, intégration avec les modèles de soins basés sur la valeur.
Le Congressional Budget Office estime que d’ici 2030, une expansion stratégique de ces pouvoirs pourrait économiser entre 120 et 150 milliards de dollars par an - et permettre à 25 à 30 millions d’Américains d’avoir accès à leurs médicaments.
Le pharmacien n’est plus juste celui qui remplit les ordonnances. Il est devenu un maillon essentiel du système de santé - mais son pouvoir dépend encore de la frontière d’un État. Et tant que les lois resteront aussi fragmentées, les patients, eux, continueront à payer le prix de cette inégalité.
Un pharmacien peut-il remplacer n’importe quel médicament par un autre ?
Non. La substitution générique est autorisée partout aux États-Unis, mais uniquement pour des médicaments approuvés comme équivalents par l’FDA (dans l’Orange Book). La substitution thérapeutique, elle, est limitée à certains États et à certaines classes de médicaments - comme l’insuline ou les antihypertenseurs. Il ne peut pas substituer un médicament à index thérapeutique étroit (comme la warfarine) sans autorisation expresse du médecin.
Le patient doit-il donner son accord pour une substitution ?
Cela dépend de l’État. Dans 17 États, le consentement du patient est obligatoire - et dans 12 d’entre eux, il doit être signé. Dans 9 États, un simple avis verbal suffit. Dans 14 États, aucune autorisation explicite n’est requise, mais le pharmacien doit documenter la substitution. Même dans les États où ce n’est pas obligatoire, les pharmaciens formés expliquent toujours la substitution au patient pour éviter la confusion.
Pourquoi certains États interdisent-ils la substitution thérapeutique ?
Les principales raisons sont la peur de la fragmentation des soins et la pression des lobbys pharmaceutiques. Certains médecins craignent que les pharmaciens, sans accès complet au dossier médical, ne prennent des décisions risquées pour les patients complexes. D’autres, comme les fabricants de médicaments de marque, redoutent la perte de revenus. Mais les données montrent que dans les États avec des protocoles clairs, les erreurs sont rares et les coûts baissent.
Comment un pharmacien sait-il qu’un médicament est équivalent ?
Il consulte l’Orange Book, la base de données officielle de l’FDA qui classe chaque médicament générique selon son équivalence thérapeutique. En janvier 2024, cette base contenait 13 726 évaluations d’équivalence. Un pharmacien ne peut pas substituer un médicament s’il n’y a pas une note « AB » dans l’Orange Book - cela signifie qu’il est bioéquivalent et interchangeable.
Est-ce que la substitution thérapeutique est plus risquée que la substitution générique ?
Pas nécessairement. La substitution générique est plus simple car les molécules sont identiques. La substitution thérapeutique implique des changements chimiques, donc elle exige plus d’expertise. Mais dans les États avec des protocoles bien définis - comme le Colorado ou le New Mexico - les études montrent que les taux d’effets secondaires sont les mêmes, voire inférieurs, car les patients sont mieux suivis. Le risque vient surtout de l’absence de protocoles, pas de la substitution elle-même.