- 23 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Comment la radiothérapie tue les cellules cancéreuses
La radiothérapie n’est pas une simple « brûlure » de la tumeur. C’est une attaque précise contre l’ADN des cellules cancéreuses, une bataille chimique et biologique qui se déroule au niveau moléculaire. Chaque faisceau de rayonnement, qu’il soit produit par un accélérateur linéaire ou un cobalt-60, agit comme un marteau invisible qui fracasse l’information génétique de la cellule. Et c’est là que tout se joue : les cellules cancéreuses ne peuvent plus se diviser, elles meurent, ou elles déclenchent une réaction qui attire le système immunitaire pour les éliminer.
Le cœur du mécanisme réside dans les cassures doubles de l’ADN. Contrairement aux cassures simples, que les cellules réparent facilement, ces ruptures en double brin sont presque impossibles à réparer correctement. Lorsqu’un rayonnement ionisant - X, gamma ou électrons - traverse une cellule, il arrache des électrons des atomes, créant des ions et des radicaux libres. Ces derniers, surtout les espèces réactives de l’oxygène (ROS), attaquent l’ADN comme des acides. Résultat : l’ADN se déchire. Et si deux brins sont rompus à proximité, la cellule perd son plan de réplication. Elle ne peut plus se multiplier. C’est la fin.
Les trois voies de mort cellulaire
La mort d’une cellule cancéreuse après irradiation ne suit pas un seul chemin. Trois mécanismes principaux s’activent, souvent en parallèle.
Le premier est la mort reproductive. La plupart des cellules cancéreuses ne meurent pas immédiatement. Elles tentent de se diviser, mais avec un ADN endommagé. Résultat : elles se bloquent en mitose, produisent des chromosomes déformés, et meurent pendant la division. Ce processus peut prendre des jours. C’est pourquoi les traitements sont fractionnés : chaque séance affaiblit un peu plus les cellules qui tentent de se remettre.
Le deuxième chemin est l’apoptose, la mort programmée. Certains types de cellules, surtout celles avec une mutation du gène p53, déclenchent un signal interne qui les fait s’autodétruire. Ce n’est pas une explosion chaotique, mais une réduction ordonnée : la cellule se contracte, son noyau se fragmente, et elle est absorbée par les cellules immunitaires sans provoquer d’inflammation. C’est une mort silencieuse.
Le troisième, plus récent et révolutionnaire, est la mort immunogène. Ici, la cellule ne meurt pas en silence. Elle libère des molécules qui ressemblent à des signaux d’alerte - comme si elle était infectée par un virus. Ces signaux attirent les dendrites et les lymphocytes T, qui reconnaissent la cellule cancéreuse comme une cible et la détruisent. C’est là que la radiothérapie devient un catalyseur pour l’immunothérapie. Des recherches de 2023 ont montré que les cellules qui réparent leur ADN par recombinaison homologue (HR) meurent en silence. Mais celles qui utilisent d’autres voies - comme la jonction non homologue (NHEJ) - libèrent des signaux d’alarme. C’est une découverte majeure : la façon dont une cellule répare son ADN détermine si le système immunitaire la voit ou non.
Le rôle des voies de réparation de l’ADN
La clé de la survie ou de la mort d’une cellule cancéreuse, c’est sa capacité à réparer l’ADN. Deux systèmes principaux sont en jeu : la recombinaison homologue (HR) et la jonction non homologue (NHEJ).
La HR est précise. Elle utilise la copie saine de l’ADN (dans la chromatide sœur) pour réparer la cassure. C’est comme un photocopieur de secours. Mais elle ne fonctionne que pendant une phase précise du cycle cellulaire, et elle nécessite des protéines comme BRCA1 et BRCA2. Les cellules avec des mutations dans ces gènes - présentes dans 5 à 10 % des cancers du sein et 15 à 20 % des cancers de l’ovaire - ne peuvent pas utiliser HR. Elles sont donc plus vulnérables à la radiothérapie. C’est pourquoi les traitements combinés avec des inhibiteurs de PARP, comme l’olaparib, sont si efficaces chez ces patientes : ils bloquent la seule autre voie de réparation, la NHEJ, et forcent la cellule à mourir.
La NHEJ, elle, est rapide mais bâclée. Elle colle les bouts de l’ADN comme du ruban adhésif. Elle ne demande pas de copie, donc elle fonctionne à tout moment. Mais elle introduit souvent des erreurs. Ces erreurs, dans les cellules cancéreuses, sont souvent fatales. Et c’est cette réparation imparfaite qui déclenche la réponse immunitaire.
Les protéines ATM et ATR agissent comme des détecteurs. Elles repèrent les cassures doubles et activent une chaîne de commandement : arrêt du cycle cellulaire, réparation, ou mort. Si la réparation échoue, les cellules entrent en catastrophe mitotique - une mort violente et inflammatoire. D’autres voies, comme la necroptose, sont aussi activées, impliquant des kinases comme RIPK1 et RIPK3. Chaque voie est un nouveau point d’attaque pour les chercheurs.
La vascularisation et le rôle du céramide
La radiothérapie ne touche pas seulement les cellules cancéreuses. Elle frappe aussi les vaisseaux sanguins qui les nourrissent. À fortes doses - comme dans la radiothérapie stéréotaxique (SABR) - elle active une enzyme appelée sphingomyélinase acide. Celle-ci transforme la sphingomyéline en céramide, une molécule qui agit comme un signal de mort.
Le céramide se propage dans la membrane des cellules endothéliales des vaisseaux. Il provoque une fuite, une réduction du flux sanguin, et une privation d’oxygène. Les cellules cancéreuses, déjà en situation de stress, meurent par nécrose plusieurs jours après la séance. Ce phénomène est particulièrement important dans les tumeurs solides. C’est une mort indirecte, mais efficace : la radiothérapie détruit la nourriture de la tumeur, pas seulement la tumeur elle-même.
Le facteur oxygène : pourquoi certaines tumeurs résistent
Un cancer bien oxygéné est 2,5 à 3 fois plus sensible à la radiothérapie qu’un cancer hypoxique. Pourquoi ? Parce que les radicaux libres, les principaux agents de destruction de l’ADN, se forment mieux en présence d’oxygène. Sans oxygène, les dommages sont moins importants. Les cellules hypoxiques survivent, se rétablissent, et deviennent résistantes.
C’est pourquoi les tumeurs profondes, comme celles du pancréas ou du poumon, sont plus difficiles à traiter. Les chercheurs testent des méthodes pour améliorer l’oxygénation : hyperbarie, agents porteurs d’oxygène, ou même des traitements qui modifient la structure des vaisseaux tumoraux. Sans résoudre ce problème, la radiothérapie reste limitée.
La résistance : pourquoi la radiothérapie échoue parfois
Entre 30 et 40 % des tumeurs développent une résistance à la radiothérapie. Ce n’est pas une question de dose insuffisante. C’est une question de mécanismes biologiques.
Des études montrent que les patients avec un niveau élevé de la protéine 53BP1 - impliquée dans la réparation de l’ADN - ont un taux de réponse complet plus faible (45 %) et une survie plus courte (28 mois en moyenne). Ceux avec un faible niveau de 53BP1 ont un taux de réponse de 78 % et vivent plus longtemps. Cela signifie que la capacité de réparation est un indicateur de résistance. Un excès de réparation = une tumeur qui résiste.
Le microenvironnement tumoral joue aussi un rôle. Les fibroblastes associés au cancer, les macrophages immunosuppresseurs, et les cellules T régulatrices créent une zone protégée. Ils libèrent des cytokines qui empêchent les lymphocytes d’attaquer les cellules irradiées. C’est pourquoi combiner la radiothérapie avec des immunothérapies - comme le pembrolizumab - est devenu une stratégie clé. L’étude PEMBRO-RT a montré que cette combinaison augmente le taux de réponse de 22 % à 36 % chez les patients atteints d’un cancer du poumon métastatique.
Les avancées futures : FLASH, IA et combinaisons
La prochaine révolution est en train de se construire. La radiothérapie FLASH, qui délivre une dose ultra-rapide (plus de 40 Gy par seconde), montre dans les essais précliniques qu’elle tue les tumeurs tout en épargnant les tissus sains. Les premiers essais humains ont commencé à Lausanne en 2020. Pourquoi ? Parce que les cellules normales réagissent mieux à une exposition ultra-rapide que les cellules cancéreuses. Le mécanisme n’est pas encore entièrement compris, mais les résultats sont prometteurs.
Les algorithmes d’intelligence artificielle transforment aussi la planification. Un traitement qui prenait 5 heures à concevoir manuellement est maintenant généré en moins de 10 minutes. L’IA prédit les réponses des tumeurs, ajuste les doses en temps réel, et anticipe les effets secondaires.
Et puis il y a les combinaisons : radiothérapie + inhibiteurs de PARP pour les cancers BRCA, radiothérapie + immunothérapie pour les tumeurs résistantes, radiothérapie + agents qui désoxygénent les tumeurs. Chaque combinaison est une nouvelle porte ouverte.
Un nouveau regard sur la radiothérapie
La radiothérapie n’est plus seulement une arme chimique. C’est un déclencheur biologique. Elle ne se contente pas de tuer. Elle révèle. Elle alerte. Elle transforme une tumeur en une cible visible pour le système immunitaire. Ce n’est plus une simple destruction. C’est une invitation à la guérison.
Et c’est là que réside l’avenir : non pas à augmenter la dose, mais à orienter la mort cellulaire vers une réponse immunitaire. Les cellules qui meurent avec un signal d’alarme, celles qui libèrent du céramide, celles qui ont une réparation imparfaite - ce sont elles qui donnent le meilleur espoir de guérison durable. La radiothérapie n’est plus un traitement isolé. Elle est le premier acte d’une symphonie plus large : l’immunothérapie, la biologie moléculaire, la médecine personnalisée. Et cette symphonie, elle commence par une cassure dans l’ADN.
La radiothérapie endommage-t-elle les cellules saines ?
Oui, mais de manière contrôlée. Les techniques modernes comme l’IMRT ou la SBRT permettent de cibler la tumeur avec une précision sub-millimétrique. Les cellules saines autour de la tumeur reçoivent une dose beaucoup plus faible, et elles ont une meilleure capacité de réparation que les cellules cancéreuses. Les effets secondaires, comme la fatigue ou les irritations cutanées, sont souvent temporaires et gérables.
Pourquoi la radiothérapie est-elle donnée en plusieurs séances ?
Parce que les cellules cancéreuses se réparent entre deux séances. En fractionnant la dose (par exemple, 2 Gy par jour pendant 5 semaines), on permet aux cellules saines de se rétablir, tout en accumulant les dommages dans les cellules cancéreuses. Cela augmente l’efficacité et réduit les effets à long terme.
Les mutations BRCA rendent-elles la radiothérapie plus efficace ?
Oui, dans certains cas. Les cellules avec une mutation BRCA1 ou BRCA2 ne peuvent pas réparer correctement les cassures doubles de l’ADN via la recombinaison homologue. Elles sont donc plus vulnérables à la radiothérapie. C’est pourquoi ces patients répondent souvent mieux au traitement, surtout si on combine la radiothérapie avec un inhibiteur de PARP.
La radiothérapie peut-elle déclencher une réponse immunitaire contre le cancer ?
Oui, et c’est l’une des découvertes les plus importantes des dix dernières années. Certaines cellules irradiées libèrent des signaux qui ressemblent à une infection. Cela attire les cellules immunitaires, qui apprennent à reconnaître et à détruire d’autres cellules cancéreuses, même loin du site traité. C’est ce qu’on appelle l’effet abscopal - et il est amplifié quand la radiothérapie est combinée à l’immunothérapie.
Quelle est la différence entre radiothérapie conventionnelle et radiothérapie stéréotaxique ?
La radiothérapie conventionnelle utilise des doses faibles (1,8 à 2 Gy) administrées quotidiennement sur plusieurs semaines. La radiothérapie stéréotaxique (SBRT) donne des doses très élevées (8 à 24 Gy) en 1 à 5 séances. Elle est plus précise, plus intense, et active des mécanismes de mort cellulaire différents - notamment la mort immunogène et la destruction vasculaire. Elle est utilisée pour les tumeurs petites et localisées.