- 24 déc. 2025
- Élise Marivaux
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Si vous suivez une thérapie antirétrovirale (TAR) pour contrôler le VIH, vous êtes peut-être en train de prendre d’autres médicaments - pour la pression artérielle, le cholestérol, la douleur, ou même des compléments naturels. Ce n’est pas rare. Mais ce mélange peut être dangereux. Certaines combinaisons peuvent provoquer des effets graves, voire mortels. Ce n’est pas une hypothèse. C’est une réalité clinique bien documentée.
Les médicaments du VIH ne sont pas tous égaux
Tous les antirétroviraux ne causent pas les mêmes problèmes d’interactions. Certains sont comme des bulldozers dans le système métabolique du corps, d’autres passent presque inaperçus. Les inhibiteurs de protéase (IP), surtout ceux boostés par le ritonavir ou le cobicistat, sont les plus problématiques. Ils bloquent une enzyme clé du foie, le CYP3A4, qui décompose des centaines de médicaments courants. Résultat ? Ces médicaments s’accumulent dans le sang à des concentrations toxiques.En comparaison, les inhibiteurs de l’intégrase (INSTI) comme le dolutegravir ou le bictegravir ont un profil beaucoup plus doux. Le bictegravir n’a que 7 interactions majeures documentées, contre 217 pour le ritonavir. C’est une différence énorme. Pourquoi cela compte ? Parce que les personnes vivant avec le VIH sont de plus en plus âgées. En 2025, plus de la moitié d’entre elles ont plus de 50 ans. Et avec l’âge viennent les maladies chroniques : diabète, hypertension, cholestérol élevé. Chaque médicament en plus augmente le risque d’interaction.
Les combinaisons à éviter absolument
Certains mélanges sont interdits. Pas « à éviter si possible ». Interdits. Point final.- Simvastatin ou lovastatin + ritonavir/cobicistat : ces statines peuvent provoquer une rhabdomyolyse, une dégradation massive des muscles qui peut endommager les reins et tuer. L’augmentation de la concentration sanguine peut atteindre 20 à 30 fois la normale.
- Fluticasone (aérosol nasal ou inhalé) + IP boosté : cela peut provoquer un syndrome de Cushing ou une insuffisance surrénale. Des études montrent que 17 % des patients sous ce mélange ont dû être hospitalisés.
- Avanafil (Spedra) + ritonavir/cobicistat : interdit. L’effet de l’avanafil peut être multiplié par 4 à 5, causant une hypotension sévère, des troubles visuels ou des crises cardiaques.
- St. John’s Wort (millepertuis) + éfavirenz : cette plante diminue la concentration d’éfavirenz de 50 à 60 %. Cela peut mener à une résistance du VIH et à l’échec du traitement.
Et ce n’est pas tout. Le sildénafil (Viagra) peut encore être utilisé, mais uniquement à 25 mg, et seulement tous les 48 heures. La dose habituelle de 50 à 100 mg est trop risquée. Même les anti-inflammatoires comme l’ibuprofène ou le naproxène peuvent poser problème avec certains antirétroviraux, surtout chez les personnes ayant déjà des problèmes rénaux.
Les interactions qui passent inaperçues
Les interactions les plus dangereuses ne sont pas toujours celles que l’on imagine. Par exemple, le dolutegravir réduit la concentration de la metformine (un médicament contre le diabète de type 2) de 33 %. Ce n’est pas une interaction connue de tous les médecins. Un patient peut voir sa glycémie monter sans comprendre pourquoi. Le traitement du diabète devient inefficace, et il n’y a aucun signe d’alerte immédiat.Autre cas méconnu : le bictegravir et le rifampicine (un antibiotique utilisé pour la tuberculose). Le rifampicine diminue la concentration de bictegravir de 71 %. Cela peut sembler étrange, car le bictegravir est censé avoir peu d’interactions. Mais la rifampicine est un puissant induceur du CYP3A4 - elle accélère la dégradation du bictegravir. Résultat : une charge virale qui remonte, sans que le patient ou le médecin ne s’en rende compte.
Les médicaments de la vie quotidienne, les plus risqués
Les interactions ne viennent pas seulement des médicaments sur ordonnance. 38 % des interactions cliniquement significatives impliquent des produits sans ordonnance : compléments alimentaires, analgésiques, remèdes naturels, ou même des substances récréatives.Le millepertuis est le plus connu, mais d’autres sont tout aussi dangereux. Le curcuma en forte dose peut inhiber le CYP3A4, comme le ritonavir. Le ginseng peut altérer la métabolisation des antirétroviraux. Même les vitamines en haute dose, comme la vitamine E ou le sélénium, peuvent interférer avec les traitements, surtout chez les personnes ayant un système immunitaire affaibli.
Et puis il y a les drogues récréatives. Le ketamine, utilisé parfois pour des troubles psychologiques ou en milieu récréatif, est métabolisé par le CYP3A4. Avec un inhibiteur comme le ritonavir, son effet est prolongé, et les risques neurologiques ou cardiovasculaires augmentent. Les utilisateurs ne savent pas qu’ils sont en danger. Le médecin non plus, s’il ne pose pas la question.
Comment se protéger ?
La clé, c’est la transparence. Vous devez dire à votre médecin tout ce que vous prenez - même si vous pensez que ce n’est pas important. Une pilule contre les maux de tête, une crème pour les articulations, un thé à la camomille, un complément de magnésium. Tout compte.Utilisez un outil fiable. Le checker d’interactions de l’Université de Liverpool est le plus complet au monde. Il contient plus de 1 200 médicaments non antirétroviraux et 347 antirétroviraux. Il est mis à jour chaque mois. Il indique clairement : « Contre-indiqué », « Dose à ajuster », ou « Surveillance recommandée ».
Si vous changez de traitement - par exemple, vous passez d’un IP boosté au dolutegravir - votre médecin doit réévaluer tous vos autres médicaments. Par exemple, la tacrolimus (un immunosuppresseur pour les transplantés) doit être réduite de 75 % après ce changement. Sinon, vous risquez une intoxication.
Les pharmaciens sont vos alliés. Dans de nombreux pays, ils ont accès aux dossiers médicaux. Demandez-leur de vérifier vos médicaments ensemble. C’est gratuit. C’est rapide. Et ça peut vous sauver la vie.
Le futur est plus simple
La bonne nouvelle, c’est que les traitements évoluent. Les nouvelles générations d’antirétroviraux, comme le lenacapavir (injection tous les six mois), ont un profil d’interaction très faible. Elles ne perturbent presque pas les enzymes du foie. L’objectif des chercheurs est de créer des traitements « sans interaction » d’ici 2030. Déjà, 80 % des nouveaux patients en France et en Europe commencent par un traitement à base d’INSTI - non pas parce que c’est le plus puissant, mais parce que c’est le plus sûr.Le VIH n’est plus une maladie qui tue. C’est une maladie chronique. Et comme toute maladie chronique, elle demande une gestion fine, quotidienne. La TAR permet de vivre longtemps. Mais vivre longtemps, c’est aussi vivre avec d’autres maladies. Et ces maladies, elles, ont leurs propres médicaments. La clé, c’est de ne jamais sous-estimer les interactions. Même une petite pilule peut changer tout.
Les interactions entre les antirétroviraux et les statines sont-elles toujours dangereuses ?
Non, pas toutes. Les statines comme la simvastatin et la lovastatin sont absolument contre-indiquées avec les inhibiteurs de protéase boostés. En revanche, la pitavastatine (4 mg/jour) et la fluvastatine (80 mg/jour) sont considérées comme sûres. Elles sont métabolisées par d’autres voies enzymatiques et ne s’accumulent pas dans le sang. Votre médecin peut les prescrire en remplacement si vous avez besoin de réduire votre cholestérol.
Puis-je prendre du paracétamol avec ma TAR ?
Oui, le paracétamol est généralement sûr avec tous les antirétroviraux. C’est l’analgésique de premier choix pour les personnes vivant avec le VIH. Évitez l’ibuprofène ou le naproxène si vous avez des problèmes rénaux ou une pression artérielle élevée, car ils peuvent aggraver ces conditions, surtout en combinaison avec certains antirétroviraux.
Pourquoi les médicaments à longue durée d’action comme le cabotegravir posent-ils des risques après l’arrêt ?
Le cabotegravir et le rilpivirine, injectés tous les deux mois, restent dans le corps pendant des mois après la dernière injection. Leur demi-vie est de 40 à 55 jours. Cela signifie qu’ils continuent d’agir - et d’interagir - jusqu’à un an après. Si vous arrêtez ces injections et que vous commencez un nouveau médicament, vous devez attendre plusieurs mois avant d’être certain que l’interaction ne se produira pas. C’est une particularité des traitements injectables.
Les suppléments naturels sont-ils vraiment dangereux avec le VIH ?
Oui, certains le sont. Le millepertuis est le plus connu, mais d’autres comme le gingembre, le curcuma, la racine de ginseng ou même l’ail en forte dose peuvent altérer la manière dont votre corps traite les antirétroviraux. Ils peuvent les rendre moins efficaces ou augmenter leur toxicité. Il n’existe pas de preuve que les suppléments « renforcent » le système immunitaire. En revanche, il existe des preuves qu’ils peuvent nuire à votre traitement.
Que faire si je prends un médicament en vente libre et que je ne sais pas s’il est sûr ?
Ne prenez pas de risque. Consultez votre pharmacien ou votre médecin. Utilisez le checker d’interactions de l’Université de Liverpool en ligne (gratuit, en anglais). Si vous ne comprenez pas la réponse, demandez une explication simple. Votre santé ne peut pas attendre. Même une pilule que vous pensez inoffensive peut provoquer une réaction grave si elle interagit avec votre TAR.