- 13 nov. 2025
- Élise Marivaux
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Qu’est-ce que la maladie de Graves oculaire ?
La maladie de Graves oculaire, aussi appelée maladie de l’œil thyroïdienne (TED), est une affection auto-immune qui attaque les tissus derrière les yeux. Ce n’est pas une maladie des yeux en soi, mais une conséquence d’un système immunitaire qui se retourne contre son propre corps. Elle est souvent liée à la maladie de Graves, une cause fréquente d’hyperthyroïdie, mais elle peut aussi apparaître chez des personnes avec une thyroïde normale ou même sous-active. Environ 50 % des personnes atteintes de la maladie de Graves développent un jour ou l’autre des signes oculaires. Chez les femmes, le risque est quatre à six fois plus élevé qu’chez les hommes. Ce n’est pas rare : on estime qu’environ 16 personnes sur 100 000 sont touchées chaque année.
Les symptômes : plus qu’un simple regard brillant
Les premiers signes ne sont pas toujours évidents. Beaucoup de patients décrivent une sensation de sable dans les yeux - 78 % en font état. D’autres ont mal quand ils bougent les yeux, ressentent une sensibilité à la lumière, ou voient leurs paupières devenir rouges et gonflées. Le larmoiement excessif, les yeux secs, et la rougeur du blanc de l’œil sont aussi courants. Mais le symptôme le plus inquiétant, c’est le proptosis : les yeux semblent sortir de leurs orbites. Cela concerne 31 % des cas de manière sévère. Et 28 % des patients développent une vision double, parce que les muscles oculaires enflés ne bougent plus en synchronie.
La plupart du temps, les deux yeux sont touchés - 89 % des cas. Mais 11 % ne voient des changements que d’un seul côté. Ces symptômes ne viennent pas d’un coup. Ils évoluent sur plusieurs mois, parfois jusqu’à deux ans, dans ce qu’on appelle la phase active. Pendant cette période, l’inflammation est en pleine expansion. Après, la maladie entre en phase inactive, où les tissus cicatrisent, mais les déformations peuvent rester permanentes : yeux proéminents, paupières qui ne se ferment plus, vision double persistante.
Comment diagnostiquer la maladie ?
Le diagnostic repose sur trois piliers : les symptômes, les examens oculaires et les analyses de sang. Un ophtalmologiste vérifie la mobilité des yeux, la proéminence des globes oculaires (avec un exophthalmomètre), et la présence d’un œdème des paupières. Il utilise aussi un score appelé CAS (Clinical Activity Score). Si le score est de 3 ou plus, la maladie est active et il faut agir vite.
Une imagerie - scanner ou IRM - montre les muscles oculaires enflés. Le muscle inférieur est touché dans 85 % des cas, puis le médial, le supérieur, et enfin le latéral. En parallèle, on mesure les anticorps anti-récepteur de la TSH (TRAb). Un taux supérieur à 15 UI/L indique un risque élevé de développer une forme sévère de TED. C’est pourquoi les endocrinologues recommandent désormais de faire ce test dès le diagnostic de la maladie de Graves.
Les stéroïdes : le traitement de première ligne
Quand la maladie est active et modérément à sévèrement inflammatoire, les stéroïdes restent le traitement de référence. L’approche la plus efficace est l’administration intraveineuse de méthylprednisolone. On administre 500 mg par semaine pendant six semaines, puis 250 mg par semaine pendant six autres semaines. Cette méthode réussit dans 60 à 70 % des cas. Elle réduit rapidement l’enflure, améliore la vision double et protège le nerf optique.
Les comprimés d’hydrocortisone (prednisone) sont moins puissants. Ils sont parfois utilisés pour les formes légères, mais ils ont un taux de rechute de 25 à 30 % une fois arrêtés. Et les effets secondaires sont lourds : prise de poids (en moyenne 8,2 kg), troubles du sucre dans le sang, ostéoporose, insomnie, humeur instable. Pour éviter les dommages au foie, les directives européennes limitent la dose totale à 4,5 à 5 grammes sur toute la durée du traitement.
Les biologiques : une révolution
En 2020, la FDA a approuvé le teprotumumab (Tepezza®), le premier traitement ciblé contre la TED. Ce n’est pas un stéroïde. C’est un anticorps monoclonal qui bloque le récepteur IGF-1, une protéine suractive dans les tissus derrière les yeux. Dans un essai clinique majeur (l’essai OPTIC), 71 % des patients ont vu leur proptosis réduite d’au moins 2 mm - contre seulement 20 % dans le groupe placebo. La vision double a amélioré chez 59 % des patients traités, contre 26 % chez les autres.
Le traitement se fait par perfusion : huit séances, toutes les trois semaines. Il est efficace, mais très cher - environ 360 000 dollars aux États-Unis. En France, il est disponible, mais les délais d’autorisation d’assurance peuvent durer jusqu’à 47 jours. 42 % des patients rencontrent des refus d’indemnisation. Certains patients racontent sur les forums avoir été à deux doigts de la faillite malgré une bonne couverture santé.
Les effets secondaires incluent des crampes musculaires (24 %), des troubles auditifs (11 %), et une élévation du taux de sucre dans le sang (8 %). La FDA a ajouté une alerte de sécurité en 2021 pour ces risques. Malgré tout, 74 % des patients sont satisfaits du traitement, contre 58 % pour les stéroïdes, selon une enquête du Cleveland Clinic.
Autres traitements en cours
Le teprotumumab n’est pas le seul espoir. Le satralizumab (Enspryng®), un anticorps qui bloque l’interleukine-6, a été approuvé en 2023 par la FDA pour les cas résistants aux stéroïdes. Il est administré par injection sous-cutanée, ce qui est plus pratique qu’une perfusion. Dans les essais, il a montré une réponse de 54 % pour la réduction de la proptose.
D’autres molécules comme le rituximab (qui cible les lymphocytes B) ou le tocilizumab (anti-IL-6) sont encore en étude. Leur efficacité est moins claire, et elles ne sont pas encore recommandées en première ligne. Un essai en cours (TOPAZ) teste la combinaison de teprotumumab avec du sélénium - les premiers résultats montrent une amélioration encore plus marquée : 82 % de réponses positives contre 67 % avec le seul biologique.
Le rôle du sélénium et des soins de soutien
Pour les formes légères, le sélénium (200 mcg par jour) peut aider. Une méta-analyse Cochrane en 2020 a montré une amélioration modeste de la qualité de vie, avec un effet statistiquement significatif. Ce n’est pas une cure, mais c’est un bon soutien, sans risque majeur. Les larmes artificielles sans conservateurs (sodium hyaluronate à 0,15-0,3 %) soulagent aussi bien les yeux secs et irrités - 85 % des patients en ressentent un bénéfice en quatre semaines.
Les prismes dans les lunettes aident 60 % des patients avec vision double, mais seulement si la déviation est inférieure à 15 dioptries. Au-delà, une chirurgie des muscles oculaires est nécessaire. La décompression orbitaire - une opération pour creuser un peu l’orbite et laisser plus de place aux yeux - est réservée à la phase inactive. Elle réduit la proéminence de 2 à 5 mm, mais comporte des risques : 15 % des patients développent une vision double post-opératoire, et 0,5 % risquent une perte de vision.
Facteurs de risque : ce que vous pouvez contrôler
Le tabac est le pire ennemi. Fumer augmente le risque de développer une TED sévère de 7,7 fois. Arrêter de fumer est la chose la plus efficace que vous puissiez faire - même après le diagnostic. L’âge entre 40 et 60 ans, le sexe féminin, et un taux élevé de TRAb sont des facteurs non modifiables. Mais l’iodothérapie radioactive, souvent utilisée pour traiter l’hyperthyroïdie, peut aggraver la TED si elle n’est pas accompagnée de stéroïdes prophylactiques. Dans ce cas, le risque augmente de 2,3 à 4 fois. C’est pourquoi les endocrinologues recommandent désormais d’associer des corticoïdes à l’iodothérapie chez les patients à risque.
Un traitement multidisciplinaire
Personne ne peut traiter la TED seul. Il faut une équipe : un endocrinologue pour la thyroïde, un ophtalmologiste spécialisé en maladies orbitaires pour les yeux, et parfois un chirurgien des orbites. Les directives européennes (EUGOGO) insistent sur cette approche. Le traitement dépend de la gravité : légère, modérée à sévère, ou menaçant la vue. Dans ce dernier cas, une urgence médicale est déclarée : le nerf optique est comprimé. Il faut agir en 48 heures pour éviter une cécité permanente.
Le futur : vers une médecine personnalisée
Les chercheurs travaillent déjà sur des marqueurs génétiques pour prédire qui va développer une TED sévère. D’ici cinq ans, il sera peut-être possible de dire, dès le diagnostic de la maladie de Graves, si un patient a un risque élevé - et de lancer un traitement préventif. Un biosimilaire du teprotumumab devrait arriver d’ici 2025, et coûter 30 à 40 % moins cher. Cela pourrait ouvrir l’accès à des milliers de patients qui sont aujourd’hui bloqués par le prix.
Que faire maintenant ?
Si vous avez la maladie de Graves et que vos yeux commencent à changer, ne laissez pas passer le temps. Consultez un ophtalmologiste spécialisé. Faites vérifier votre taux de TRAb. Arrêtez de fumer. Parlez à votre médecin des options de traitement - stéroïdes, sélénium, ou biologiques. Le moment où vous commencez le traitement compte autant que le traitement lui-même. Plus tôt vous agissez, plus vous protégez votre vue. Et n’oubliez pas : vous n’êtes pas seul. Des associations comme la Graves’ Disease & Thyroid Foundation offrent des forums, des témoignages, et des conseils pratiques. La maladie est complexe, mais elle n’est plus une impasse.
La maladie de Graves oculaire peut-elle disparaître sans traitement ?
Oui, dans certains cas, la phase active peut se calmer d’elle-même après 1 à 3 ans. Mais les dommages permanents - yeux saillants, vision double, paupières qui ne ferment pas - restent souvent. Sans traitement, 35 % des patients finissent par avoir besoin d’une chirurgie. Il est donc risqué d’attendre. L’objectif n’est pas seulement de soulager les symptômes, mais d’éviter les séquelles irréversibles.
Les stéroïdes peuvent-ils causer une prise de poids permanente ?
La prise de poids liée aux stéroïdes est souvent temporaire, mais elle peut durer plusieurs mois après l’arrêt du traitement. En moyenne, les patients prennent 8,2 kg pendant le traitement. Une fois les doses réduites et arrêtées, la plupart perdent une partie du poids, mais pas toujours tout. Une alimentation équilibrée et une activité physique adaptée aident à retrouver un poids normal. Le risque le plus sérieux n’est pas le poids, mais les troubles métaboliques comme le diabète de type 2, qui apparaissent chez 18 % des patients sous corticoïdes prolongés.
Le teprotumumab est-il disponible en France ?
Oui, le teprotumumab est approuvé en France et remboursé par la Sécurité sociale pour les formes modérées à sévères de TED en phase active. Toutefois, l’accès est soumis à une autorisation préalable (AP) et à des critères stricts : score CAS ≥ 3, échec ou intolérance aux stéroïdes, ou risque de perte visuelle. Les délais peuvent être longs - en moyenne 47 jours - et certains patients rencontrent des refus, surtout s’ils sont sous couverture de l’Assurance maladie complémentaire. Il est conseillé de demander l’aide d’un conseiller en accès aux soins dans votre centre hospitalier.
Fumer augmente-t-il vraiment le risque de TED ?
Oui, et de manière très significative. Une méta-analyse publiée dans la revue Thyroid en 2021 a montré que les fumeurs ont 7,7 fois plus de risques de développer une forme sévère de TED que les non-fumeurs. Le tabac aggrave l’inflammation, diminue l’efficacité des traitements, et augmente le risque de récidive après une chirurgie. Arrêter de fumer, même après le diagnostic, réduit de moitié le risque de progression. C’est la seule mesure préventive prouvée qui fonctionne vraiment.
La chirurgie est-elle une solution définitive ?
La chirurgie corrige les séquelles, pas la maladie elle-même. Elle est toujours faite en phase inactive, après que l’inflammation s’est calmée. Elle peut réduire la proptose, améliorer l’ouverture des paupières, ou corriger la vision double. Mais elle ne guérit pas l’auto-immunité. Il est possible que des symptômes reviennent si la maladie redevient active. La chirurgie comporte aussi des risques : 15 % des patients développent une vision double après l’intervention, et 0,5 % risquent une perte de vision. Elle est donc réservée aux cas où les traitements médicaux ont échoué ou où les séquelles sont invalidantes.