- 22 nov. 2025
- Élise Marivaux
- 1
Quand les reins ne gèrent plus le sodium
Le sodium, ce sel que vous ajoutez à vos plats, est bien plus qu’un simple assaisonnement. Dans votre corps, il régule la pression sanguine, l’équilibre des fluides et le fonctionnement des nerfs et des muscles. Mais quand vos reins sont endommagés, ce système se déséquilibre. L’hyponatrémie (sodium trop bas) et l’hypernatrémie (sodium trop élevé) deviennent des menaces réelles, surtout chez les personnes atteintes de maladie rénale chronique (MRC). Près d’1 personne sur 5 en stade avancé de MRC présente un trouble du sodium - et la plupart du temps, ce n’est pas dû à ce que vous mangez, mais à ce que vos reins ne peuvent plus faire.
Comment les reins gèrent normalement le sodium
Vos reins ne se contentent pas de filtrer les déchets. Chaque jour, ils traitent 180 litres de sang pour en extraire 1 à 2 litres d’urine. Leur travail : garder le sodium à un niveau stable, entre 135 et 145 mmol/L. Pour ça, ils ajustent la quantité d’eau retenue ou éliminée, selon la concentration de sodium dans votre sang. Quand vous buvez trop, vos reins produisent de l’urine diluée. Quand vous en buvez peu, ils concentrent l’urine pour conserver l’eau. Ce mécanisme dépend de l’hormone vasopressine (ADH) et de la capacité des tubules rénaux à réagir à cette hormone.
Dans une personne en bonne santé, même une forte consommation de sel ou d’eau est bien gérée. Mais dans la MRC, ce système s’effondre progressivement. Dès que le taux de filtration glomérulaire (TFG) descend sous 60 mL/min/1,73m², les reins doivent produire plus d’urine pour éliminer le sodium. Quand le TFG tombe sous 30 mL/min/1,73m², ils perdent presque toute capacité à diluer ou concentrer l’urine. C’est là que les problèmes commencent : votre corps ne sait plus quoi faire avec l’eau ou le sel que vous ingérez.
Hyponatrémie : quand le sodium tombe trop bas
L’hyponatrémie, définie par un taux de sodium inférieur à 135 mmol/L, est la complication la plus fréquente chez les patients en stade 4 ou 5 de MRC. Elle touche entre 20 et 28 % de ces personnes - bien plus que dans la population générale. Pourquoi ? Parce que vos reins ne peuvent plus éliminer l’eau en excès. Même une petite surconsommation d’eau - une bouteille de plus par jour - peut suffire à faire chuter le sodium.
Le plus surprenant ? Ce n’est pas toujours une surconsommation d’eau. Dans de nombreux cas, c’est l’effet inverse : les patients suivent un régime très restrictif en sel, en protéines et en potassium - comme on leur recommande souvent pour éviter l’hyperkaliémie. Mais en réduisant trop les solutés, on diminue la capacité des reins à produire de l’urine diluée. Résultat : l’eau s’accumule, le sodium se dilue. Une étude japonaise en 2023 a montré que ce phénomène explique jusqu’à 22 % des hyponatrémies sévères en stade avancé de MRC.
Les conséquences sont graves. Une hyponatrémie chronique augmente de 1,94 fois le risque de décès. Elle est liée à une perte de mémoire, à des chutes, à des fractures de la hanche, et même à de l’ostéoporose. En milieu hospitalier, les patients avec un sodium bas ont 28 % plus de risques de mourir que les autres. Et si l’hyponatrémie apparaît pendant l’hospitalisation, le risque augmente encore.
Hypernatrémie : quand le sodium monte trop haut
L’hypernatrémie, soit un sodium supérieur à 145 mmol/L, est moins fréquente, mais plus dangereuse. Elle survient quand le corps perd trop d’eau - et que le patient ne peut pas ou ne veut pas boire pour la compenser. Chez les personnes âgées atteintes de MRC, c’est souvent lié à une diminution de la soif, à une dépendance à l’égard des aidants, ou à une confusion mentale.
Dans la MRC avancée, les reins ne peuvent plus concentrer l’urine. Donc, même une perte d’eau modérée - une transpiration excessive, une fièvre, un médicament diurétique - entraîne une concentration rapide du sodium dans le sang. Le cerveau, lui, réagit mal à cette montée brutale : les cellules se déshydratent, ce qui peut provoquer des convulsions, un coma, ou des lésions cérébrales irréversibles.
La correction doit être lente : pas plus de 10 mmol/L en 24 heures. Une correction trop rapide peut provoquer un œdème cérébral, avec des risques de mort ou de paralysie. C’est pourquoi les patients en MRC ne doivent jamais être réhydratés comme les autres - même s’ils ont la bouche sèche.
Les trois types d’hyponatrémie dans la MRC
Pas toutes les hyponatrémies ne se ressemblent. Elles se classent selon le volume de liquide dans le corps :
- Hypovolémique (15-20 %) : le corps perd à la fois du sodium et de l’eau, mais plus de sodium. Cela arrive souvent avec les diurétiques, les vomissements, ou des syndromes de perte de sel (comme le syndrome de Milk-Alkali ou l’hyperparathyroïdie).
- Euvolémique (60-65 %) : le sodium est bas, mais le volume de liquide est normal. C’est le cas le plus courant. La cause ? Une incapacité à éliminer l’eau, souvent aggravée par les diurétiques thiazidiques, que les reins ne peuvent plus bien traiter quand le TFG est sous 30 mL/min/1,73m².
- Hypervolémique (15-20 %) : il y a trop d’eau ET trop de sodium. C’est typique des patients avec œdèmes, insuffisance cardiaque ou syndrome néphrotique. Le sodium est bas parce que l’eau est en excès, pas parce qu’il y en a peu.
Le diagnostic repose sur la mesure du volume extracellulaire, de l’osmolalité sanguine et de l’urine. Un simple test d’urine peut dire si vos reins essaient encore de réguler ou s’ils sont en mode « arrêt ».
Comment traiter - et surtout, ne pas aggraver
La règle d’or : ne pas traiter comme si vous aviez des reins sains.
Pour l’hyponatrémie :
- Restriction hydrique : 800 à 1 000 mL/jour en stade 4-5, contre 1 000 à 1 500 mL/jour en stade 2-3.
- Éviter les diurétiques thiazidiques : ils sont inefficaces et augmentent le risque d’hyponatrémie quand le TFG est bas.
- Ne pas corriger trop vite : ne pas dépasser 4 à 6 mmol/L en 24 heures. Une correction trop rapide cause le syndrome de démyélinisation osmotique - une lésion cérébrale souvent mortelle.
- En cas de perte de sel : supplémentation en chlorure de sodium à 4 à 8 g/jour, sous surveillance.
Pour l’hypernatrémie :
- Remplacer l’eau lentement : pas plus de 10 mmol/L en 24 heures.
- Utiliser de l’eau ou du glucose 5 %, jamais du sérum salé.
- Identifier la cause : est-ce un manque de boisson ? Un médicament ? Une infection ?
Les vaptans, médicaments qui bloquent l’ADH, sont contre-indiqués en MRC avancée : les reins ne répondent plus, et le risque de complications est trop élevé.
Les erreurs courantes - et comment les éviter
Les médecins et les patients font souvent les mêmes erreurs :
- « Moins de sel, c’est mieux » : en réalité, une restriction excessive de sodium peut réduire la capacité rénale à éliminer l’eau, ce qui provoque l’hyponatrémie.
- Appliquer les protocoles standards : les règles de correction pour les patients en bonne santé sont dangereuses chez les insuffisants rénaux. 12 à 15 % des cas de démyélinisation osmotique chez les patients en MRC viennent de ce problème.
- Ignorer les symptômes : la fatigue, la confusion, les chutes - on les attribue à l’âge ou à la MRC, mais ce sont souvent les premiers signes d’un trouble du sodium.
Une étude publiée en 2022 dans NEJM Evidence montre que les patients suivis par une équipe multidisciplinaire (néphrologue, diététicien, pharmacien) ont 35 % moins d’hospitalisations pour troubles du sodium.
Le rôle du diététicien : un allié essentiel
Un patient en MRC avancée doit gérer à la fois :
- La restriction de sodium
- La restriction de potassium
- La restriction de protéines
- La restriction hydrique
C’est un poids cognitif énorme. La plupart des patients ont besoin de 3 à 6 séances avec un diététicien spécialisé pour comprendre comment faire les bons choix. Par exemple : un yaourt sans sucre peut contenir plus de sodium qu’un yaourt normal. Une soupe « light » peut être une bombe de sel. Et une bouteille d’eau minérale peut être un danger si vous avez un TFG bas.
Les nouvelles technologies aident : un patch de surveillance continue du sodium, approuvé par la FDA en 2023, mesure le sodium dans les tissus sous-cutanés avec 85 % de précision par rapport au sang. Il permet de détecter les variations avant qu’elles ne deviennent critiques.
Que nous réserve l’avenir ?
La maladie rénale chronique touche 850 millions de personnes dans le monde. En 2030, ce nombre aura augmenté de 29 %. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, l’accès aux soins spécialisés est limité. Les troubles du sodium seront de plus en plus fréquents - et mortels - si rien ne change.
Les recherches actuelles explorent le lien entre l’intestin et les reins : dans les premiers stades de la MRC, l’intestin pourrait compenser partiellement la perte de fonction rénale en retenant ou en éliminant le sodium. Si cette voie est confirmée, de nouveaux traitements pourraient émerger.
En attendant, la clé reste simple : comprendre que la maladie rénale change tout. Ce qui est bon pour un rein sain peut être mortel pour un rein malade. Le sodium n’est pas un ennemi - il est un indicateur. Et dans la MRC, il parle d’une chose : la capacité de vos reins à survivre.
L’hyponatrémie est-elle toujours dangereuse chez les personnes atteintes de maladie rénale ?
Oui, même une hyponatrémie légère (sodium entre 130 et 134 mmol/L) augmente le risque de décès de 1,94 fois chez les patients en stade avancé de maladie rénale. Elle est liée à des chutes, une perte de mémoire, des fractures et une détérioration de la qualité de vie. Ce n’est pas une simple valeur laboratoire - c’est un signal d’alerte.
Pourquoi les diurétiques thiazidiques sont-ils déconseillés en cas de maladie rénale avancée ?
Les diurétiques thiazidiques agissent sur une partie du rein qui ne fonctionne plus bien quand le taux de filtration glomérulaire descend sous 30 mL/min/1,73m². Ils deviennent inefficaces pour éliminer le sodium, mais continuent à bloquer la réabsorption d’eau - ce qui provoque une perte d’eau sans perte de sodium, et donc une hyponatrémie. Leur usage est même interdit par la FDA chez les patients avec un TFG inférieur à 30.
Faut-il boire moins d’eau si on a une maladie rénale ?
Pas forcément - mais il faut boire avec précision. En stade 4 ou 5 de maladie rénale, la limite recommandée est de 800 à 1 000 mL par jour. En stade 2 ou 3, jusqu’à 1 500 mL peuvent être tolérés. Le problème n’est pas la quantité d’eau en soi, mais la capacité des reins à l’éliminer. Boire trop peut provoquer une hyponatrémie, même sans ajouter de sel.
Les régimes « sans sel » sont-ils bénéfiques pour les patients en insuffisance rénale ?
Non, pas toujours. Une restriction excessive de sodium réduit la charge osmotique dans les reins, ce qui diminue leur capacité à produire de l’urine diluée. Résultat : l’eau s’accumule, le sodium baisse. Dans les études, 22 % des hyponatrémies sévères en stade avancé sont liées à une restriction trop stricte de sel, pas à une surconsommation d’eau.
Comment savoir si j’ai un trouble du sodium ?
Les symptômes sont souvent discrets : fatigue, confusion, perte d’équilibre, nausées, maux de tête. Mais ils peuvent aussi être absents. Le seul moyen fiable est une analyse de sang pour mesurer le sodium. Si vous êtes en stade 3 ou plus de maladie rénale, faites contrôler votre sodium au moins tous les 3 à 6 mois - même si vous vous sentez bien.
1 Commentaires
Le sodium, c’est pas l’ennemi. C’est le messager.